Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803)

Introduction

Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803)

 » Ce livre, s’il brûle, ne peut brûler qu’à la manière de la glace.  » ( Charles Baudelaire, à propos des Liaisons dangereuses.)

On a longtemps relégué Les Liaisons dangereuses dans les enfers des bibliothèques. Après le succès de scandale qui accueille le livre, c’est la condamnation pour  » outrage aux bonnes mœurs  » sous la Restauration, puis encore sous Le Second Empire… Le livre n’entre au purgatoire qu’à la fin du XIXème siècle, et Baudelaire, en lecteur éclairé, se penche sur le chef-d’œuvre. Le XXème siècle est plus chaleureux encore pour ce roman : critiques littéraires, cinéastes, dramaturges, professeurs, étudiants, élèves et lecteurs enthousiastes ont contribué à la redécouverte des Liaisons dangereuses, et à leur réhabilitation. Voici quelques pistes, puissent-elles guider le lecteur, et lui donner envie de se perdre au paradis des Liaisons dangereuses

Clémence Camon

Biographie

Vie de Pierre Ambroise Choderlos de Laclos :

Pierre Ambroise Choderlos de Laclos naît à Amiens en 1741, dans une famille de la petite noblesse. Il choisit l’armée, et se retrouve affecté dans l’artillerie, car son extraction ne peut lui permettre plus noble carrière. Mais Laclos parvient à s’illustrer dans ce domaine, puisqu’il participe à l’élaboration du  » boulet creux  » (1786, expérimentations en 1793), aux qualités balistiques reconnues.

Il n’est pas, comme on l’a dit parfois, l’auteur d’une seule œuvre, puisqu’il a composé dans des domaines très variés : traités de stratégie militaire, poésie, galante ou érotique, un opéra-comique, des essais sur la condition des femmes ou des comptes rendus littéraires. Mais il est bien l’auteur d’un chef-d’œuvre, Les Liaisons dangereuses.

On peut, schématiquement, envisager la vie de Laclos selon deux axes distincts : l’un littéraire, l’autre historique. En effet, durant la première partie de la vie de Laclos, l’homme est officier de carrière et la France en paix, il a donc du temps à consacrer à l’écriture. La seconde partie est traversée par l’Histoire, et Laclos subit les remous de la Révolution et de la Terreur. Il faut d’ailleurs remarquer que Les Liaisons dangereuses s’écrivent en temps de paix, et mettent en scène des guerres de salon qui ne font pas de quartier. Ce roman pourrait ainsi se lire comme une nouvelle guerre qui permettrait aux hommes, et aux femmes (d’où le féminisme que l’on veut parfois lire dans ce roman) de s’illustrer dans des combats non plus militaires mais amoureux,  » L’amour de la guerre et la guerre de l’amour  » écrit Baudelaire dans ses notes sur Les Liaisons dangereuses.

Entre Crébillon fils, Rousseau et Sade

Crébillon fils (1707-1777) est l’auteur des Egarements du cœur et de l’esprit (1736), du Sopha (1742), d’une pièce de théâtre intitulée La Nuit et le moment (1754), entre autres. Il doit son succès aux personnages de libertins qu’il met en scène dans ses œuvres, mais aussi à la finesse de l’analyse psychologique qu’il y déploie. Il est, de plus, l’auteur d’un roman épistolaire, Les Lettres de la Marquise de M*** (1732). Laclos a puisé à la source de Crébillon, avec délice, comme il l’indique en faisant lire un chapitre du Sopha à Mme de Merteuil (lettre 10, de la Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont).

Laclos appréciait également les œuvres de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et sa vie intime est teintée d’un rousseauisme quasiment idéal. En effet, il rencontre Marie-Soulange Duperré en 1783, en a un fils en1784 ; en 1786, il épouse la mère de son enfant et reconnaît ce dernier. Bon père, bon époux, Laclos écrit à sa femme des lettres dans lesquelles il cite fréquemment Rousseau. Il n’est pas anodin que l’épigraphe des Liaisons ,  » J’ai vu les mœurs de mon temps, et j’ai publié ces lettres. « , soit empruntée à la préface de La Nouvelle Héloïse de Rousseau. Il faut également préciser que Laclos est l’auteur d’un discours et de deux traités sur les femmes et leur éducation. Ces trois réflexions n’ont pas l’ampleur d’un Emile, mais elles s’inscrivent bien dans la lignée des écrits de Rousseau sur l’éducation.

Sade ou Rousseau ? Laclos a de réelles affinités avec Rousseau, mais il naît un an après Sade (1740-1814). Il n’est donc pas impossible de trouver aux roués des Liaisons dangereuses quelques traits qui pourraient les rapprocher de certains personnages du divin marquis. Cependant il y a davantage de Rousseau que de Sade dans Les Liaisons dangereuses, même si l’on a parfois relégué ce roman dans les enfers des bibliothèques, à côté des œuvres de Sade justement.

La Révolution et la Terreur

Laclos, officier de carrière, affecté dans l’artillerie, a inventé le  » boulet creux « , contesté le système de fortifications de Vauban (1786), et mis au point un projet de  » numérotage des rues de Paris « (1787), fondé sur un quadrillage de Paris. Il a également traversé la Révolution, non sans accroc. En 1789, il devient le secrétaire de Philippe-Egalité, affichant ainsi des convictions orléanistes ; il s’inscrit au Club des Jacobins en 1790, propose la régence du duc d’Orléans à la tribune des Jacobins le 1er juillet 1791, est nommé commissaire du pouvoir exécutif en 1792 grâce à l’intervention de Danton. La période troublée qui s’ouvre avec la Terreur n’épargne pas Laclos : il est incarcéré le 1er avril 1793, sur ordre du Comité de sûreté générale, libéré le 10 mai, grâce à l’intervention d’un ami, et placé sous surveillance à son domicile ; il s’évade en juin, est à nouveau incarcéré le 5 novembre, et libéré le 1er décembre 1794, après avoir craint de subir le même sort que Danton. Laclos participe à la victoire de Valmy, puis au coup d’État du 18 Brumaire. En 1800, il est nommé général de brigade dans l’artillerie, par décision personnelle de Bonaparte, qui entend ainsi le récompenser de son rôle au 18 Brumaire. Nommé commandant de l’artillerie de l’armée d’observation dans les Etats du royaume de Naples le 21 janvier 1803, il meurt à Tarente, le 3 septembre, de dysenterie et de malaria.

Ambiguïté de Laclos

Le succès de scandale qui a accueilli Les Liaisons dangereuses est sans doute pour beaucoup dans l’ambiguïté du personnage de Laclos. Comment un officier de carrière, bon père et bon époux a-t-il pu écrire ce roman épistolaire brûlant ? Comment un homme apparemment aussi discret a-t-il pu se trouver dans la tourmente de la Révolution, et y tenir un rôle non négligeable ? De là à en déduire que Laclos était un arriviste aigri et revanchard, peut-être doublé d’un redoutable libertin, il n’y avait qu’un pas, qui a parfois été franchi très rapidement, trop peut-être. Tout d’abord, il ne faut pas trop en demander à la biographie d’un auteur pour lire son œuvre : Laclos n’est pas Valmont, et s’il est fasciné par ses personnages de roués, il conserve une distance ironique qui met souvent le libertinage à distance. Ensuite, il faut se pencher sur l’intention et la morale des Liaisons dangereuses : ce roman ne peut pas être considéré comme un simple et univoque  » catéchisme de débauche  » (lettre 110, de Valmont à Merteuil). Enfin, le roman a l’ambiguïté de son auteur, et c’est dans la lecture et la relecture de l’œuvre que le lecteur pourra se forger une opinion.

Clémence Camon

Oeuvres

Œuvres de Laclos :

Laclos est le célèbre auteur des Liaisons dangereuses. Mais il faut consulter ses Œuvres complètes, publiées par Laurent Versini dans la Bibliothèque de la Pléiade pour constater qu’il a beaucoup écrit par ailleurs, et dans des registres très variés, dès qu’il en avait le loisir, ou dès que le contexte le requérait. Laclos compose ainsi des pièces galantes, madrigaux, badinages de salon, plaintes amoureuses, recueillis sous le titre de Pièces fugitives, Il crée Ernestine, un opéra-comique qui ne connaîtra pas le succès, rédige des comptes rendus littéraires, des écrits politiques extrêmement variés, des essais sur l’éducation des femmes, et élabore même un projet de  » numérotage des rues de Paris « . La grande diversité de ces écrits révèle à quel point Laclos a été homme de son temps, et explique, en partie, la chatoyante richesse des Liaisons dangereuses.

1767A Mademoiselle de Saint-S***  paraît dans L’Almanach des Muses.
1770L’Epître à Margot, autre pièce fugitive, paraît dans L’Occasion et le Moment.
1773Les souvenirs, épître à Eglé paraît dans L’Almanach des Muses.
1776Nouvelle version de L’Epître à Margot publiée dans L’Almanach des Muses.
1777Publication de L’Epître à la mort dans L’Almanach des Muses.
Composition de Sur cette question proposée dans un Mercure (Sur la jalousie).
Représentation unique d’Ernestine, opéra-comique écrit en collaboration avec Mme Riccoboni, à partir d’un roman de celle-ci, sur une musique de Saint-Georges, à la Comédie-Italienne.
1778Laclos commence sans doute à composer Les Liaisons dangereuses.
1779Publication du Bon Choix dans L’Almanach des Muses.
Composition de L’Epître à Mme la marquise de Montalembert.
1781Laclos achève Les Liaisons dangereuses.
1782Parution des Liaisons dangereuses.
1783Projet de discours pour l’académie de Châlons-sur-Marne qui avait proposé le sujet suivant :  » Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l’éducation des femmes ? » Par la suite, Laclos rédige des discours ou traités sur le même thème, mais selon Laurent Versini,  » Laclos n’a pas su proposer pour Emilie l’éducation morale que l’on pouvait attendre du défenseur des femmes « .
1784Le compte rendu de Cécilia de Miss Burney paraît dans le Mercure de France.
1786Publication de la Lettre à Messieurs de l’Académie française sur l’Eloge de Vauban, pamphlet contre Vauban.
Composition de deux pièces A Mademoiselle de Sivry.
1787Laclos fait parvenir au Journal de Paris un Projet de numérotage des rues de Paris, qui témoigne de son ingéniosité.
1789Rédaction des Instructions aux bailliages (préparation des cahiers de doléances) pour les apanages du duc d’Orléans.
Rédaction de la Correspondance de Louis-Philippe-Joseph d’Orléans avec le ministre des Affaires étrangères Montmorin.
1790Rédaction de l’Exposé de la conduite de M. le duc d’Orléans dans la révolution de France.
Rédaction d’une Lettre ouverte à Mirabeau.
Laclos est nommé rédacteur en chef du Journal des amis de la Constitution.
1791Laclos démissionne.
1794Laclos, emprisonné à la prison de Picpus, écrit à sa femme, des lettres teintées d’un tendre rousseauisme.
1795Rédaction du mémoire De la guerre et de la paix, à l’intention du Comité de salut public.
1795-1802Laclos rédige son troisième essai, sans titre, sur l’éducation des femmes.
1797Compte rendu de la relation du Voyage de La Pérouse publiée sur l’ordre de la Convention.
1800-1801Laclos, rejoignant l’armée du Rhin, puis l’armée d’Italie, écrit fréquemment à sa femme.
1803Rédaction des Observations du général Laclos sur  » Le fils naturel « , drame de Lacretelle aîné, paru en 1802.

Bibliographie : pour aller à l’essentiel

  • DELON Michel, P.-A. Choderlos de Laclos. Les Liaisons dangereuses. P.U.F, coll.  » études littéraires « , 1986.
  • VERSINI Laurent,  » Le Roman le plus intelligent « , Les Liaisons dangereuses de Laclos, Champion, coll.  » Unichamp « , n° 74, 1998.
  • FABRE Jean,  » Les Liaisons dangereuses, roman de l’ironie « , in Idées sur les romans. De Mme de Lafayette à Sade, Klincksieck, 1979, p. 143-165.
  • VERSINI Laurent, Le Roman épistolaire, P.U.F, coll.  » Littératures modernes « , 1979 ; 2ème édition revue et complétée, 1998, en particulier l’article consacré aux Liaisons dangereuses.
  • ROUSSET Jean, « Une forme littéraire: le roman par lettres », in Forme et signification. Essais sur les structures littéraires de Corneille à Claudel, Corti, 1962, p. 65-103.
  • BAUDELAIRE Charles, Notes sur Les Liaisons dangereuses, in Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1976, p. 66-75.

Liens

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