- Résumé du Rivage des Syrtes de Julien Gracq
- Julien Gracq évoque le Rivage des Syrtes
- André Pieyre de Mandiargues , Antoine Blondin, Claude Roy, André Rousseaux, Dominique Aury évoquent Julien Gracq et le Rivage des Syrtes
Ce roman en 12 chapitres de Julien Gracq est publié chez Corti en septembre 1951. Il vaut à l’auteur d’Au château d’Argol d’obtenir le prix Goncourt, mais celui-ci le refuse, souhaitant se tenir à l’écart des milieux littéraires.
Résumé du Rivage des Syrtes – Julien Gracq
Ce roman évoque les derniers moments de la principauté d’Orsenna , avant sa destruction par le Farghestan, l’adversaire de toujours.
A la suite d’un chagrin d’amour, Aldo, un jeune aristocrate de la principauté d’Orsenna souhaite quitter cette ville moribonde. Il demande et obtient un poste d’observateur dans une garnison lointaine. Il se retrouve dans la province éloignée et côtière des Syrtes. La mission, à laquelle le destinent son origine aristocratique et son éducation, consiste en la surveillance du rivage des Syrtes. De l’autre côté de la mer se trouve le Farghestan, un pays dont la principauté d’Orsenna est en guerre depuis trois siècles. Du rivage, Aldo aperçoit presque la capitale du Farghestan , le port de Rhages.
Depuis longtemps , les hostilités se sont enlisées dans une sorte de trêve tacite. Aldo personnifie cette attente. « Sa vie de garnison se déroule lentement, dans une atmosphère pesante, entre de longues promenades et d’interminables soirées dans la ville voisine, villégiature à la mode ». Il passe ses journées à rêver ou à monter à cheval. Mais rien n’arrive jamais. Son regard reste braqué sur le rivage adverse. Tout distille l’ennui et la solitude. Pour tenter d’échapper à cet ennui, Aldo consulte les cartes, ce qui semble effrayer les autres officiers. Ils craignent que toute initiative puisse rompre cette trêve incertaine. La princesse Vanessa Aldobrandi , jeune femme qu’il a rencontrée auparavant à Orsenna , l’invite dans sa résidence de Maremma.
Au cours d’une sortie en mer, Aldo s’approche trop près des côtes du Farghestan. Il va franchir la ligne fatidique et provoquer ainsi la rupture du cessez-le-feu tacite et la reprise des hostilités. En cédant à ce désir, Aldo choisit inconsciemment le cataclysme plutôt que la lente asphyxie. Il perce ainsi l’abcès qui immobilise la principauté. « Orsenna accèlère son destin et se saborde pour échapper à son destin ».
Julien Gracq évoque le Rivage des Syrtes
« Ce que j’ai cherché à faire, entre autres choses, dans Le Rivage cles Syrtes, plutôt qu’à raconter une histoire intemporelle, c’est à libérer par distillation un élément volatil « l’esprit-de-l’Histoire », au sens où on parle d’esprit-devin, et à le raffiner suffisamment pour qu’il pût s’enflammer au contact de l’imagination. Il y a dans l’Histoire un sortilège embusqué, un élément qui, quoique mêlé à une masse considérable d’excipient inerte, a la vertu de griser. Il n’est pas question, bien sûr, de l’isoler de son support. Mais les tableaux et les récits du passé en recèlent une teneur extrêmement inégale, et, tout comme on concentre certains minerais, il n’est pas interdit à la fiction de parvenir à l’augmenter.
Quand l’Histoire bande ses ressorts, comme elle fit, pratiquement sans un moment de répit, de 1929 à 1939, elle dispose sur l’ouïe intérieure de la même agressivité monitrice qu’a sur l’oreille, au bord de la mer, la marée montante dont je distingue si bien la nuit à Sion, du fond de mon lit, et en l’absence de toute notion d’heure, la rumeur spécifique d’alarme, pareille au léger bourdonnement de la fièvre qui s’installe. L’anglais dit qu’elle est alors on the move. C’est cette remise en route de l’Histoire, aussi imperceptible, aussi saisissante dans ses commencements que le premier tressaillement d’une coque qui glisse à la mer, qui m’occupait l’esprit quand j’ai projeté le livre. J’aurais voulu qu’il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’ il est par une longue torpeur imperçue. » (Julien Gracq, En lisant en écrivant, p.216)
André Pieyre de Mandiargues , Antoine Blondin, Claude Roy, André Rousseaux, Dominique Aury évoquent Julien Gracq et le Rivage des Syrtes
« La recherche de la beauté jusqu’au plus absolu paroxysme » (André Pieyre de Mandiargues , Le château ardent , L’Herne, 1972)
«Avec Le Rivage des Syrtes Julien Gracq a écrit un imprécis d’histoire et de géographies à l’usage des civilisations rêveuses.
Ce récit ajoute aux prestiges d’un pays de légende, ceux d’une leçon d’histoire, non moins inventée. Sans une époque comme la nôtre, où les événements, leurs causes, leur enchaînement, leur répétition sont, non sans quelques raisons d’ailleurs, considérés avec une ferveur déférente, l’Histoire est un domaine tabou. Avec une désinvolture audacieuse, M. Gracq en a décidé autrement. Il étonnera plus d’un esprit curieux ; il choquera les plus objectifs.» (Antoine Blondin, Rivarol, 6 décembre 1951)
« Un style d’antiquaire, déployant de longues périodes drapées d’une élégance apprêtée, avec un croulement volontaire d’épithètes abstraites et rares, un entremêlement savant de principales et d’incidentes. Il n’est pas désagréable d’assister à une réaction contre l’écriture dite parlée, l’effilochement triste du langage auquel s’appliquent désespérément tant de jeunes romanciers. J’estime chez M. Gracq la tenue de l’écriture, mais je déplore qu’elle soit obtenue au prix du naturel.
Les adjectifs dont s’alourdissent les branche et les rameaux de la phrase Gracq, comme de fruits trop pesants, tarissent automatiquement en moi les ressources d’émotion que je prêtais généreusement à l’écrivain. » (Claude Roy, Libération, 5 décembre 1951)
« Oui, c’est un beau livre, Le Rivage des Syrtes. Il n’a aucun des vices du roman contemporain. Il ne fait aucune concession à l’existentialisme [.] ni au freudisme. Il ne se barbouille pas de noir. Il est profond, sans affecter la profondeur. » (André Rousseaux, Les Nouvelles littéraires, 6 décembre 1951)
« Il se passe ici quelque chose de bizarre. Alors qu’on n’a pas cru un instant à la réalité de l’histoire, ni à l’existence des personnages, on souhaite la catastrophe, mieux, on est convaincu de sa nécessité. Oui que soit détruite Orsenna, envahie Maremma, prise la forteresse, que les nomades du désert se répandent dans les rues dallées, dans les hautains palais moisis, que les habitants soient renfoncés en terre. Leur sauvegarde est bien là, leur rachat si l’on préfère. Pourquoi ? Ah! c’est plus difficile. On ne voit qu’une raison : dans l’univers de Julien Gracq, les pierres sont plus vraies, plus justes, plus vivantes que les hommes. » Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres : rejoindre l’univers minéral, c’est accéder à l’éternel. […] »
C’est un paysage de fin du monde, les pierres y sont les ossements de la terre, l’homme ne peut souhaiter que se coucher sur elle, se mêler en elle aux immenses strates des siècles. La terre est rendue à son destin de planète les hommes tremblent sans le savoir du besoin de se fondre en elle l’aveugle à l’obscur. Voilà ce que sans jamais le dire explicitement, laisse entendre Julien Gracq. Si soigneusement qu’elle soit voilée, il y a dans le Rivage des Syrtes, plus encore que dans ses premiers romans, une grandeur insidieuse et sauvage. Où il a passé, l’herbe non plus ne repousse pas. » (Dominique Aury, Combat, 6 décembre 1951)
Source bibliographique
Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq (Editions Corti)
Le Robert des Grands Ecrivains de langue française
50 romans clés de la Littérature française de Jean-Claude Berton, ( Hatier)
Kléber Haedens Une Histoire de la Littérature française, Grasset 1970
Dictionnaire des Grandes Oeuvres de la Littérature française, Jean-Pierre de Beaumarchais, Daniel Couty (Editions Larousse)