Interview Calou Livre De Lecture

En juin 2002 Pascale Arguedas crée « Calou, l’ivre de lecture » , un site Internet où elle nous fait partager tous ses coups de cour pour la littérature . Nous avons voulu en savoir plus sur celle qui se cachait derrière ce beau titre énigmatique .

Entretien par mail réalisé en novembre 2004

Pascale Arguedas, Calou, ivre de lecture

Bonjour Calou. Comment vous est venue l’idée de créer le site Internet, « Calou, l’ivre de lecture » ? Quand cette histoire a-t-elle commencé ? Combien de temps y consacrez-vous ?

Bonjour Guy. Me lancer sans filet sur la toile a été un étrange concours de circonstances. Il y a trois ans, je me suis retrouvée au chômage du jour au lendemain, plus précisément du matin au soir. Le choc brutal, imprévisible, puis les recherches vaines, l’attente inquiétante, le sentiment d’exclusion, ça faisait beaucoup. Je me suis donc mise à surfer sur Internet, à y lire de belles choses. J’y ai fait mes premiers pas d’écriture en essuyant des revers sur un site où « j’offrais » mes commentaires de lecture. Sur un coup de colère, j’ai dit : « basta, je travaille pour moi maintenant et je créé mon propre site ! » Un pari fou, complètement absurde, mais c’était le coup de pied qu’il me fallait pour exister. Je me suis donc lancée en autodidacte dans l’apprentissage de la création d’un site Internet. Ce fut laborieux car l’informatique, je connaissais à peine et de très loin. J’ai fini par y arriver car je me suis accrochée, j’avais du temps, et surtout, je voulais relever le défi. J’ai commencé par créer un site associatif. En parallèle de mon apprentissage technique, l’idée du contenu de mon site littéraire germait tout doucement. Je lisais, écrivais, construisais, classais, organisais, articulais mes dossiers pour le futur « Calou, l’ivre de lecture » qui a vu le jour en juin 2002.

Entre temps, j’ai retrouvé du travail et il est vrai que le faire vivre aujourd’hui devient de plus en plus sportif car il m’occupe plus d’une vingtaine d’heures par semaine.

« Calou, l’ivre de lecture » est un très beau nom. Comment vous est venue l’idée de ce titre ?

J’aime les jeux de mots et j’ai longtemps réfléchi à ce nom. J’en ai couché sur le papier une bonne centaine, seuls ou en associations plus ou moins farfelues (souvent plus que moins, si vous saviez à quoi vous avez échappé !). Finalement j’ai opté pour la simplicité :

« Calou », diminutif de Pascale et « l’ivre de lecture », un clin d’oeil à mes amis qui savent que je ne bois pas d’alcool mais me nourris souvent de mots.

Quels sont les plus beaux souvenirs liés à ce site, notamment les rencontres avec des auteurs ?

Mon souvenir le plus marquant est peut-être l’interview de Jacques Vettier, car il a été le premier à me faire confiance. L’échange se faisait entre la France et la Guadeloupe. On avait un timing très serré, il était dans les cartons et sur le point de déménager. Six heures de décalage horaire, comment faire ? Il suffisait de cadrer nos activités pour échanger en direct. Quand il revenait de sa pêche, il me répondait. Il a ainsi ensoleillé quelques-unes de mes nuits. Depuis, bien sûr, d’autres auteurs rencontrés me sont chers, certains même sont devenus des amis. Je reste en contact avec la plupart d’entre eux, soit sous forme épistolaire, soit de temps en temps autour d’une bonne table.

Et les échanges avec les internautes ?

Dès le début, je me suis fixée une ligne de conduite que je tiens malgré les pressions. Je la sais arbitraire et discutable : la qualité. Je ne perds pas mon temps en papier négatif, car je cherche à partager mes plaisirs littéraires. Il m’arrive parfois de ne mettre en ligne qu’un seul livre d’un auteur, ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas lu les autres (ça m’arrive aussi, je ne peux pas tout lire), mais tout simplement je ne les ai pas aimé. En clair, c’est « ma » bibliothèque, donc subjective et extensible.

Les échanges avec les internautes – élèves, lecteurs, auteurs – sont délicats. Les agressions se multiplient, l’intolérance et l’impolitesse sont légion. J’aime les livres et les défends. J’ai écrit un texte, qui sera publié début 2005 dans une revue littéraire et artistique (Salmigondis), où je donne mon avis sur la situation actuelle de la littérature et sur la critique littéraire indépendante en particulier. Je suis franche. Certains vont tousser. Ce n’est pas grave, c’est de saison. À mon échelle, arrêter mon site serait leur donner raison, je fais donc de la résistance à ma façon, mais ce n’est pas facile à vivre au quotidien. Heureusement, il y a encore des échanges enjoués et passionnés, riches et rassurants. Comme dans toute coulisse, il se passe des choses peu avouables, mais derrière le rideau noir se cachent aussi des milliers d’étoiles.

« Calou, l’ivre de lecture » connaît une belle notoriété . Comment vivez vous et gérez vous celle-ci ?

Je suis toujours étonnée de constater que Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Figaro, ou encore de grands sites culturels comme Arte et France culture, m’envoient des lecteurs. Je le suis moins par contre en ce qui concerne les mails inintéressants et dévoreurs de temps précieux qui inondent ma boîte aux lettres. Beaucoup de visiteurs me prennent pour la poste (courrier à l’attention d’auteurs à faire suivre, comme si j’étais le bottin !), trop de propositions d’ouvrages à lire (certains viennent de très loin malgré mes tentatives de dissuasion), des auteurs qui veulent absolument faire partie de « mes » auteurs interviewés, des questions bibliographiques, des conseils, des demandes intéressantes parfois, mais qui prennent du temps pour répondre correctement. J’essaie toutefois de les satisfaire au mieux, en fonction de mes compétences (en les redirigeant ailleurs quand je peux) et de mes disponibilités.

Les visiteurs restent plus longtemps à me lire, c’est bon signe, pas tant pour moi que pour les livres, car un bon livre se défend tout seul, il suffit de montrer qu’il existe. Les abonnements à ma lettre d’information mensuelle sont nombreux aussi. Par quel procédé ? Mystère, le système D, le téléphone arabe sûrement, car je n’ai plus le temps de m’occuper de la publicité.

Quels sont Vos livres et auteurs préférés ?

Oh non, c’est trop difficile. vous ne voulez pas changer de place ? C’est plus confortable de tenir le micro. Mes auteurs préférés. la vérité est que j’en ai trop ! J’ai « mes » auteurs que je lis et relis mais qui varient selon mes besoins, mes envies, mes humeurs, mes années. J’ai des livres amis qui sont toujours là en cas de besoin, qui m’écoutent, me réchauffent, me font voyager, me font rire, bref, me font du bien. J’ai des goûts éclectiques. Des points communs quand même : la variété et la richesse du style, l’émotion et la poésie qui s’en dégagent. Il y a bien quelques noms que je pourrais glisser furtivement, JMG Le Clézio, Nicolas Bouvier, Claude Pujade-Renaud, Michèle Desbordes, qui m’ont vraiment donné l’envie d’écrire, mais c’est tellement réducteur que je m’en veux déjà presque de les avoir citer à la place de tant d’autres. De toute façon, je pense sincèrement que le lecteur devrait lire une critique littéraire seulement après avoir lu l’ouvrage, et non avant. Je fonctionne beaucoup par bouche à oreille et au feeling dans mes choix de lecture. Et je n’aime pas qu’on m’en dise trop, c’est donc ce que j’essaie de faire dans mes critiques. Par contre, je prends plaisir à comparer les avis après lecture, c’est instructif, surtout quand on a le sentiment d’être passé à côté d’une oeuvre.

Chaque nouvel abonné reçoit en cadeau de bienvenue un texte d’un auteur que je veux lui faire découvrir. Et je suis agréablement surprise, car souvent ils jouent le jeu en me donnant leurs avis sincères. C’est ce que j’aime le plus finalement, ces échanges privilégiés.

Quel est Le livre qui a marqué vos 20 ans ?

C’est que ça remonte à des millions de pages cette histoire là. Je ne suis pas si vieille pourtant, vous avez raison de le faire remarquer, merci ! Je ne pense pas me tromper de beaucoup en citant L’Ile au trésor de Robert Louis Stevenson. Il n’y a pas d’âge pour voyager.

Quels sont le ou les livres que vous souhaiteriez faire découvrir aux lecteurs d’alalettre.com ?

La liste est longue. Je dirais pour faire court : tous les auteurs pétris de talent. C’est subjectif certes, et si magnifiquement humain. Et il y en a tant ! Mais on les connaît mal ou si peu, on leur donne rarement une chance de promotion. Les miens je les trouve dans quelques grandes maisons d’éditions mais aussi dans les plus modestes, voire totalement méconnues. Je suis à l’affût, et j’essaie de leur donner un écho sur mon site. Je les ai lu, en lis et en découvrirai encore, mais n’ai pas assez de temps pour les mettre tous en ligne, il faut vivre aussi ! J’essaie de varier mes mises à jour pour satisfaire les goûts de mes abonnés. Mais certaines demandes sont parfois difficiles à satisfaire. Donc pour vous répondre sans entourloupe : abonnez-vous chez moi, je vous dirai tout chaque mois.

Vous avez été membre du jury Fnac ? Comment avez vous vécu cette expérience ?

Faire partie d’un jury populaire est une expérience passionnante. Il faut avoir l’esprit ouvert, être « pro » dans le sens où même si un ouvrage ne vous plait pas, vous devez le lire sérieusement jusqu’au bout, et surtout, aimer la découverte, car on reçoit des manuscrits. J’adore arriver « vierge » dans un livre. Ne rien savoir, pas de résumé, pas de quatrième de couverture, pas de critique déjà écrite qui pourrait influencer mon jugement. Ça c’est un véritable cadeau ! Même s’il y a une grande disparité dans la qualité des ouvrages. La première fois, j’ai eu beaucoup de chance. Sur quatre livres, j’ai reçu deux chef-d’oeuvres (Des gens du monde de Catherine Lépront et Danseur de Colum McCann dont ma critique est parue dans la revue Rentrée littéraire FNAC et dans Contact, le magazine réservé aux adhérents). Cette année par contre, un seul ouvrage a retenu mon attention (Heureux qui comme Ulysse de Maurice Audebert). Le seul regret, dont j’ai d’ailleurs ouvertement discuté avec le Directeur du livre de la Fnac, est l’absence totale d’échanges et de rencontres entre les jurés. Je suis naïve et j’avoue avoir été très déçue. Je ne m’y attendais pas. Etre seule dans son coin, lire ses livres, donner son avis, puis. rien, on attend la délibération de la Fnac. C’est frustrant et peu convivial. Mais attention, ne pensez pas que je crache dans la soupe car l’expérience est intéressante, puis, un livre offert est toujours un beau cadeau, non ?

J’ai participé ensuite à un autre jury populaire (prix du livre oublié), une autre intention certes, une autre échelle aussi et là, j’ai rencontré des amoureux du livre, on a vraiment eu des échanges passionnants et passionnés. J’encourage vivement tous ceux et celles qui ont envie de partager leurs coups de cour de participer à ces jurys populaires qui fleurissent un peu partout. C’est une expérience très riche et inoubliable, sans pression, le partage d’un bonheur simple. C’est peu et c’est énorme.

Quel regard portez-vous sur Internet ?

Internet est un piège si l’on y passe trop de temps mais aussi une source formidable d’informations, de communication, une vitrine et devant tout écran, il faut rester vigilant. Vous êtes en droit de zapper ou d’y passer vos journées. Votre esprit critique est votre seule alerte, à vous de trier.

En littérature, des communautés de lecteurs se créent, se défont, renaissent plus loin. C’est une autre vie en soi, avec ses bons et ses mauvais côtés, proche de la vraie vie, même si d’autres codes la régissent. C’est également une ouverture sur le monde et ses cultures. Beaucoup ont tendance à taper sur ces clubs de lecture mais ils oublient deux choses : un, ils permettent de briser efficacement l’isolement de personnes seules qui ont toute leur tête et leur cour, mais qui sont coincées par manque d’autonomie ; deux, c’est un espace créé facilement et gratuitement par des lecteurs pour des lecteurs qui font enfin entendre leur voix. Une manière singulière de faire exploser le monopole d’expression des professionnels qui vivent sur le dos de ces amateurs qu’ils ne respectent pas toujours (notez la surproduction actuelle de publications poubelles), et qui sont pourtant leurs clients. Ce qui s’y dit n’est pas toujours beau, c’est vrai, mais chez les pros non plus, et ça a le mérite d’exister. Certains de ces clubs sont plus tolérants que d’autres, à nous de faire le bon choix.

Quels sont vos projets pour « Calou, l’ivre de lecture » ?

Cette activité entièrement gratuite commence à me coûter, non seulement en temps passé bénévolement, mais bientôt en hébergement, car mon site grossit de jour en jour et « pèse » de plus en plus lourd. J’ai installé en page d’accueil des achats au clic sur trois grands sites marchands de livres mais si je gagne de quoi vous offrir un café à la fin de l’année, je vous invite ! Si c’est le signe rassurant de lecteurs faisant leurs courses chez leurs libraires préférés, j’en suis ravie, mais je ne le crois pas. Je cherche donc un annonceur sérieux pour m’aider à continuer à faire vivre le site.

Et sur la littérature en général ?

J’aimerais travailler sur, sous, autour de la musique des mots. Je n’ai pas d’idée précise mais suis curieuse et ouverte à tout : chroniques, piges, organisation de cafés littéraires, comité de lecture, de rédaction, billets d’humeur, journaux, librairies, éditions, radios (je garde un bon souvenir d’une heure d’antenne sur Modiano à laquelle j’ai participé). La liste est longue.

Enfin, que voulez-vous, je suis une rêveuse, et comme le dit Bernanos « l’espérance est un risque à courir ».

Calou, Merci.

Merci à vous.

 

Notice Biographique

Pascale Arguedas

Née en 1961 au Tchad.

Etudes Scientifiques.

Infirmière pendant 16 ans.

Reconversion car usée et soif d’autre chose.

Depuis quatre ans, exploration de nombreuses voies : gestion, comptabilité, conseil, documentaliste.

Loisirs : voyage, sport, peinture, sculpture, musique, cinéma, lecture, écriture.