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Les Lettres de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné (1626-1696) ont été publiées après sa mort par divers membres de sa famille (premier recueil en 1726) .
Elle-même n’avait entrepris aucun projet d’édition de sa correspondance. Il s’agit donc bien d’écrits privés qui sont devenus après coup, une œuvre littéraire.
Marquise vivant à la cour du roi Louis XIV, Marie de Rabutin-Chantal, dite Madame de Sévigné, n’a écrit ni recueil, ni maximes, ni fables, ni romans galants ou historiques, mais elle a adressé plus d’un millier de lettres à ses amis, son entourage et tout particulièrement à sa fille.
On recense aujourd’hui 1120 lettres de Mme de Sévigné, dont 764 à sa fille Mme de Grignan, 126 à son cousin Bussy, et 220 lettres adressées à 29 autres destinataires.
C’est cette correspondance avec sa fille, Françoise-Marie, qui marqua l’histoire littéraire. Celle-ci s’est mariée au comte de Grignan en 1669, et a déménagé dans la Drôme dès 1671 lorsque son mari fut nommé lieutenant général de Provence.
La première lettre de Mme de Sévigné adressée à sa fille date du 6 février 1671. Cette dernière qui s’est mariée, l’a quittée deux jours plus tôt pour habiter avec son mari. La marquise de Sévigné a quarante-cinq ans depuis la veille. Nait une correspondance entre une mère et sa fille qui va durer un quart de siècle.
La mère et la fille se retrouveront en 1690 pour six ans de vie commune, jusqu’à la mort de Madame de Sévigné à l’âge de soixante-dix ans.
Deux jours après que sa fille fut partie, les lettres commencèrent, décrivant le chagrin d’une mère. Elle écrit à sa fille, Madame de Grignan. Paris, vendredi 6 février 1671 :
« Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre ; je ne l’entreprendrai pas aussi. J’ai beau chercher ma chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu’elle fait l’éloigne de moi. Je m’en allai donc à Sainte-Marie, toujours pleurant et toujours mourant. Il me semblait qu’on m’arrachait le cœur et l’âme, et en effet, quelle rude séparation ! Je demandais la liberté d’être seule. (…) J’allais ensuite chez Madame de Lafayette qui redoubla mes douleurs par la part qu’elle y prit. (…) Je revins enfin à huit heures, mais en entrant ici, bon Dieu !comprenez-vous bien ce que je sentis en montant ce degré ? Cette chambre où j’entrais toujours, hélas ! J’en trouvais les portes ouvertes, mais je vis tout démeublé, tout dérangé. (…) Le soir je reçus votre lettre, qui me remit dans les premiers transports. »
Auparavant, la marquise de Sévigné écrivait déjà à sa famille et à ses amis. La première lettre que l’on possède de Mme de Sévigné date du 15 mars 1648, elle a 23 ans et annonce à son cousin Bussy, la naissance de son fils Charles .
Karin Viard (Madame de Sévigné), et Ana Girardot (Françoise de Grignan, sa fille)
Ce fut dès lors une habitude que d’écrire, une manière d’être, de « causer », de parler de soi, de peindre l’univers. Deux fois par semaine les courriers se croisaient, les jours de poste, et dialoguaient, dans « une conversation en absence » dont nous n’avons plus qu’un seul aspect, car les lettres de Madame de Grignan sont perdues.
Les Lettres de Madame de Sévigné retracent la vie de la cour et de l’entourage de la marquise. Les principaux thèmes de ce livre sont les intrigues politiques, les relations sociales dans le milieu de pouvoir, l’amour filial. Sont notamment exposés l’arrestation et le procès de Nicolas Fouquet, l’exécution de La Voisin, la femme qui concoctait les poisons pour la cour, la manière dont le roi Louis XIV se moque des courtisans, une rencontre avec La Fontaine et ses commentaires sur ses Fables, la mort de Turenne, lors de la guerre de Hollande , mais aussi et surtout de la peine qu’elle ressent loin de sa fille et de l’évolution de sa santé.
Il est à noter un manque fondamental dans cette correspondance : seules les lettres de la marquise ont été conservées, les réponses de sa famille ont été détruites par sa petite-fille. Ce qui crée l’impression d’un monologue et nous prive de la dimension du dialogue.
Aucune des lettres de la marquise de Sévigné ne fut publiée de son vivant. C’est en 1697, quelques mois après sa mort, que la Correspondance de Bussy fit découvrir les réponses de ce dernier aux lettres que lui avait adressées Mme de Sévigné,
Les lettres de Madame de Sévigné firent d’abord l’objet d’une première édition en 1725. Celle-ci ne comprenait que 28 lettres ou extraits de lettres. Ce recueil très lacunaire fut intitulé : Lettres choisies de Mme la marquise de Sévigné à Mme la comtesse de Grignan, sa fille, qui contiennent beaucoup de particularités sur l’Histoire de Louis XIV.
Elle fut suivie de deux autres éditions, en 1726. Pauline de Simiane, fille de Mme de Grignan, et petite-fille de l’épistolière, décide alors de faire publier officiellement la correspondance de sa grand-mère. Elle confie ce soin à Denis-Marius Perrin, un éditeur d’Aix-en-Provence. Celui-ci publie 614 lettres en 1734, puis 772 en 1754.
Les lettres ont malheureusement été remaniées et sélectionnées suivant les instructions de Madame de Simiane : toutes celles touchant de trop près à la famille, ou celles dont le niveau littéraire paraissait insuffisant, furent supprimées. Pauline de Simiane, très janséniste, n’a malheureusement pas hésité à supprimer les histoires galantes et les remarques un peu libres de sa grand-mère afin d’offrir à la postérité une image parfaite de la marquise.
Par chance, en 1873, un lot de copies manuscrites, d’après les autographes, a été retrouvé chez un antiquaire. Il couvre environ la moitié des lettres adressées à Madame de Grignan et nous permet aujourd’hui de disposer d’un témoignage plus fidèle et plus complet des lettres de la marquise .
Sources bibliographiques :
- Dictionnaire des Grandes Oeuvres de la Littérature française, Jean-Pierre de Beaumarchais, Daniel Couty ( Editions larousse)
- Dossier de pédagogique du Film « Madame de Sévigné »
En savoir plus:
Source bibliographique
Kléber Haedens Une Histoire de la Littérature française, Grasset 1970
Le Robert des Grands Ecrivains de langue française
Lettre de Madame de Sévigné à sa fille Madame de Grignan.
Paris, mercredi 16 mars 1672
Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort : je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle que si je pouvais retourner en arrière je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme ; et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? Quand sera-ce ? En quelle disposition ? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? Aurai-je un transport au cerveau ? Mourrai-je d’un accident ? Comment serai-je avec Dieu ? Qu’aurai-je à lui présenter ? La crainte, la nécessité feront-elles mon retour vers lui ? N’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? Que puis-je espérer ? Suis-je digne du paradis ? Suis-je digne de l’enfer ? Quelle alternative ! Quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m’abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène que par les épines qui s’y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout ; mais si on m’avait demandé mon avis, j’aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice : cela m’aurait ôté bien des ennuis et m’aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément ; mais parlons d’autre chose.
Je suis au désespoir que vous ayez eu Bajazet par d’autres que par moi. C’est ce chien de Barbin qui me hait, parce que je ne fais pas des Princesses de Montpensier. Vous en avez jugé très juste et très bien, et vous aurez vu que je suis de votre avis. Je voulais vous envoyer la Champmeslé pour vous réchauffer la pièce. Le personnage de Bajazet est glacé ; les mœurs des Turcs y sont mal observées ; ils ne font point tant de façons pour se marier ; le dénouement n’est point bien préparé : on n’entre point dans les raisons de cette grande tuerie Il y a pourtant des choses agréables, et rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine, sentons-en la différence. Il y a des endroits froids et faibles, et jamais il n’ira plus loin qu’Alexandre et qu’Andromaque. Bajazet est au-dessous, au sentiment de bien des gens, et au mien, si j’ose me citer. Racine fait des comédies pour Champmeslé : ce n’est pas pour les siècles à venir. Si jamais il n’est plus jeune et qu’il cesse d’être amoureux, ce ne sera plus la même chose. Vive donc notre vieil ami Corneille ! Pardonnons-lui de méchants vers, en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent : ce sont des traits de maître qui sont inimitables. Despréaux en dit encore plus que moi ; et en un mot, c’est bon goût : tenez-vous-y.
Voici un bon mot de Mme Cornuel, qui a fort réjoui le parterre. M. Tambonneau le fils a quitté la robe, et a mis une sangle autour de son ventre et de son derrière. Avec ce bel air, il veut aller sur la mer : je ne sais ce que lui a fait la terre. On disait donc à Mme Cornuel qu’il s’en allait à la mer : « Hélas, dit-elle, est-ce qu’il a été mordu d’un chien enragé ? » Cela fut dit sans malice, c’est ce qui a fait rire extrêmement.