Les Mots de Jean-Paul Sartre

Lien vers l’auteur

Récit autobiographique que Jean Paul Sartre publia dans Les Temps modernes en octobre et novembre 1963 et en volume chez Gallimard en 1964.  

Conçu comme un « adieu à la littérature » , le livre rencontra un succès immédiat et contribua à l’attribution du Prix Nobel en octobre 1964, que Sartre refusa.

A cette époque Jean-Paul Sartre est marqué par une série d’événements tragiques : la mort par accident  d’Albert Camus, la disparition du philosophe Merleau-Ponty, la vieillesse de sa propre mère … Tous ces événements  l’incitent à revisiter son enfance et à chercher à répondre à cette question : que peut la littérature ?  

Dans cette autobiographie, Sartre y raconte ses souvenirs d’enfance jusqu’à l’âge de onze ans.

Le livre est divisé en deux parties : « Lire » et  « Ecrire ». En effet, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ont été les deux événements les plus marquants pour l’enfant solitaire que fut Jean-Paul Sartre.  En fin d’ouvrage, quelques pages sont consacrées à la période, où écrivain Sartre travailla à l’écriture de La Nausée ( roman philosophique publié en 1938).

Alors que beaucoup aiment à évoquer avec complaisance leurs souvenirs d’enfance, Sartre ,au contraire, se livre à cet exercice avec un esprit critique et une grande ironie. Il démystifie l’attendrissement dont beaucoup entourent cette époque de la vie, et n’hésite pas à affirmer « J’étais un enfant, ce monstre [que les adultes] fabriquent avec leurs regrets. »  

Dans la première partie, « Lire »,  Sartre  que l’on surnomme alors « Poulou » évoque ses familles maternelle et paternelle.

Son père meurt alors que Sartre n’est âgé que de deux ans. Sa mère et lui vont vivre chez ses grands-parents maternels  Charles et Louise Schweitzer

Charles   Schweitzer, d’origine alsacienne, est professeur d’allemand. Il va avoir une grande influence sur la formation du jeune Jean-Paul. Ce grand-père à la fois théâtral et   autoritaire se prend d’affection pour son petit fils.

Enfant unique, Sartre est choyé par tous . Il grandit dans ce monde bien ordonné. Il devient à son tour comédien, et « joue à être sage ». Il éprouve une  passion sincère pour la lecture, ferveur amplifiée par l’admiration extasiée de son entourage. Il lit les classiques de la bibliothèque de son grand-père, se passionne pour  les dictionnaires encyclopédiques et découvre grâce à la complicité bienveillante de sa mère,  les illustrés pour enfants.

Sa scolarité n’est guère brillante. Il se réfugie dans un monde imaginaire et vit par procuration les aventures des héros rencontrés dans les livres : Michel Strogoff ou Pardaillan.

Hélas, lorsqu’il se retrouve avec d’autres enfants au jardin du Luxembourg, il lui faut déchanter : ceux-ci l’ignorent et le jeune Sartre prend conscience qu’il est loin d’être le héros qu’il rêve d’être.

Dans la seconde partie, intitulée «Ecrire» , on découvre les encouragements prodigués par Charles, le grand-père.

Mais ces exercices d’écriture prennent l’allure d’une « imposture» , car l’enfant a recours au plagiat. Par peur que le petit-fils envisage de vivre de sa plume, le grand-père dicte sa loi : « Poulou »  sera professeur de lettres et écrivain du dimanche. Mais le jeune Sartre ne s’en laisse pas compter «  Bref il me jeta dans la littérature, par le soin qu’il mit à m’en détourner»

L’homme de 1964 a changé . S’il continue d’écrire, c’est maintenant par métier. : «Ce que j’aime en ma folie, c’est qu’elle m’a protégé, du premier jour, contre les séductions de « l’élite »: jamais je ne me suis cru l’heureux propriétaire d’un « talent » : ma seule affaire était de me sauver – rien dans les mains, rien dans les poches – par le travail et la foi. Du coup ma pure option ne m’élevait au-dessus de personne: sans équipement, sans outillage je me suis mis tout entier à l’œuvre pour me sauver tout entier. Si je range l’impossible salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui».

Citations

«La mort de Jean-Baptiste fut la grande affaire de ma vie : elle rendit ma mère à ses chaînes et me donna la liberté».

«Ma vérité, mon caractère, et mon nom étaient aux mains des adultes : j’avais appris à me voir par leurs yeux; j’étais un enfant, ce monstre qu’ils fabriquent avec leurs regrets.»

«Si je range l’impossible salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui».

Critiques

« Entreprise de démystification» , Les Mots est un texte virtuose, qui joue des figures de rhétorique et des ruptures de ton dans un mouvement de perpétuelle exhibition du « style » . Le narrateur adulte prête à l’enfant personnage des pensées et des comportements où se mêlent vraisemblance –sinon sincérité- et reconstruction romanesque».

Le Robert des Grands Ecrivains de langue française 

 

«Gai autant que sombre, ce livre est un torrent en crue dont lien ne réchappe : ni Sartre lui-même, bien sûr, ni la bourgeoisie, qu’elle soit citadine ou rurale, ni son grand-père Schweitzer. Les Mots sont d’abord le combat de Sartre contre son image – plus précisément contre sa double image : intérieure et publique, l’image de soi devant soi et l’image de soi dans le monde. Ce travail de destruction de sa propre image témoigne d’un paradoxe qui concourt à la force des Mots : si le livre multiplie les fausses pistes, il est pourtant d’une absolue sincérité».

Robert Redecker – Marianne – Juin 2005

En savoir plus

Le site de l’Académie de Strasbourg

Les Mots de Jean Paul Sartre – Lucien Giraudo , Editions Nathan 
Le Robert des Grands Ecrivains de langue française