Ode à Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Comme un Chevreuil
Comme un Chevreuil, quand le printemps détruit
L’oiseux cristal de la morne gelée,
Pour mieux brouter l’herbette emmiellée
Hors de son bois avec l’Aube s’enfuit,
Et seul, et sûr, loin de chien et de bruit,
Or sur un mont, or dans une vallée,
Or près d’une onde à l’écart recelée,
Libre folâtre où son pied le conduit :
De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte,
D’un trait meurtrier empourpré de son sang :
Ainsi j’allais sans espoir de dommage,
Le jour qu’un oeil sur l’avril de mon âge
Tira d’un coup mille traits dans mon flanc.
Le printemps
Le printemps n’a point tant de fleurs,
L’automne tant de raisins meurs,
L’été tant de chaleurs halées,
L’hiver tant de froides gelées,
Ni la mer a tant de poissons,
Ni la Beauce tant de moissons,
Ni la Bretagne tant d’arènes,
Ni l’Auvergne tant de fontaines,
Ni la nuit tant de clairs flambeaux,
Ni les forêts tant de rameaux,
Que je porte au coeur, ma maîtresse,
Pour vous de peine et de tristesse.
Sonnet à Marie
Je vous envoie un bouquet, que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanouies,
Qui ne les eut à ces vêpres cueillies,
Tombées à terre elles fussent demain.
Cela vous soit un exemple certain,
Que vos beautés, bien qu’elles soient fleuries,
En peu de temps, seront toutes flétries,
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s’en va, le temps s’en va ma Dame,
Las ! le temps non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame,
Et des amours, desquelles nous parlons
Quand serons morts, n’en sera plus nouvelle :
Donc, aimez-moi, cependant qu’êtes belle.
Quand vous serez bien vieille
Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. »
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom, de louange immortelle.
Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
Je n’ai plus que les os
Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ;
Adieu, plaisant Soleil, mon oeil est étoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant le face,
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vais le premier vous préparer la place.