Quelques Prix Goncourt célèbres

Depuis le premier prix décerné au bien oublié John-Antoine Nau en 1903, l’académie Goncourt a connu les pressions des éditeurs, les hésitations, les manigances, les surprises, les grands succès et quelques échecs, les réformes, les controverses incessantes.

On garde en mémoire le refus du prix par Julien Gracq en 1951 , l’affaire Gary-Ajar en 1975,  les renvois d’ascenseur et le poids des grands éditeurs, Gallimard, Grasset et Seuil, la fameuse hydre à trois têtes « Galligrasseuil » qui a obtenu vingt-trois Goncourt sur vingt-neuf entre 1960 et 1989.

Les jurés ont tenté ces dernières années de couper court à ces accusations, en modifiant certaines de leurs règles. Autre sujet sensible, la place des femmes. Elles restent en minorité au sein de l’académie, et seules treize autrices ont reçu le prix depuis 1903. Les Goncourt ont commencé à corriger le tir : pour la première fois, la liste initiale de 2022 a compté plus de femmes que d’hommes.

Globalement, l’essor du prix Goncourt a accompagné le triomphe du roman, ce genre d’abord délaissé par l’Académie française. Il participe aussi à la transformation du livre en produit de grande consommation, l’annonce sacralisée du prix marquant l’apogée de la rentrée littéraire, un mois et demi avant Noël. Si la somme remise au lauréat est aujourd’hui symbolique, le Goncourt permet de créer des  best-sellers.  A l’image de « L’Amant » de  Marguerite Duras (1,6 million d’exemplaires) , L’Anomalie d’Hervé Le Tellier (plus de 1,3 million d’exemplaires), Chanson douce de Leïla Slimani (plus d’un million de ventes) Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre (plus de 500 000 exemplaires ), L’Ordre du jour d’Eric Vuillard (plus de 300 000 exemplaires ) … 

Certains Goncourt sont encore dans toutes les mémoires : Marcel Proust (1919), André Malraux (1933), Simone de Beauvoir (1954), Patrick Modiano (1978) ou encore Marguerite Duras (1984), mais d’autres ont été oubliés et de très grands auteurs ne l’ont jamais reçu :  André Gide, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Céline, Colette , Georges Bataille , ou Jean Genet…


1919 : Marcel Proust « A l’ombre des jeunes filles en fleurs »,

En 1919, Marcel Proust n’est connu que d’un tout petit cénacle. Il a 48 ans et a encore très peu publié. C’est tout le mérite de l’Académie Goncourt d’avoir décelé dans « A l’ombre des jeunes filles en fleurs », (deuxième tome « d’A la Recherche du Temps perdu»), l’œuvre d’un écrivain au talent différent de tous ses compétiteurs et qui est en train d’édifier un monument unique dans la littérature française.

Marcel Proust (ici, en 1895) a remporté, il y a tout juste un siècle, le 17e Prix Goncourt aux dépens de Roland Dorgelès, grâce au ralliement du plus jeune des frères Rosny au troisième tour du scrutin. 

La critique, dans son ensemble, ne va malheureusement pas adhérer au choix des Goncourt. En cette fin de l’année 1919, la Première Guerre mondiale, ses tragédies et ses conséquences, occupent tous les esprits et le rival le mieux placé de Proust était Roland Dorgelès, romancier qui s’était fait connaître par ses ouvrages sur la bohème littéraire de Montmartre et venait d’apporter son témoignage sur la guerre, intitulé Les Croix de bois, récit impressionniste d’un homme qui s’était engagé dans l’infanterie dès le début des hostilités et avait combattu près de quatre ans dans les tranchées. 


1944 : Elsa Triolet « Le premier accroc coûte 200 francs ».

Le prix Goncourt est né en 1903, mais il faut attendre 1944 pour voir une femme recevoir ce prix littéraire.

Pour en finir avec son image machiste et lancer un message à la Résistance, l’Académie Goncourt prime en 1944 la résistante Elsa Triolet pour « Le premier accroc coûte 200 francs ».

Le titre de ce livre est une des phrases énigmatiques qui passaient à la radio de Londres, pendant l’Occupation, un message chiffré destiné à la Résistance.

1944 : Elsa Triolet reçoit le Goncourt pour « Le premier accroc coûte 200 francs »

Lors de la réception de ce prix Elsa Triolet, qui avait participé à la Résistance aux côtés de son compagnon le  poète et écrivain Louis Aragon, à Lyon et dans la Drôme, rappelle ironiquement cette période pas si lointaine, pendant laquelle le jury du prix Goncourt – contrairement à ceux d’autres prix – avait continué à se réunir.

Huit longues années passent ensuite avant que Béatrix Beck ne succède à Elsa Triolet, avec son « Léon Morin, prêtre» (éd. Gallimard), puis en 1954, Simone de Beauvoir remporte le Prixavec « Les mandarins» (éd. Gallimard).


1978 : Patrick Modiano pour Rue des boutiques obscures 

Prix Goncourt 1978, ce roman est l’un des plus connus de Patrick Modiano . C’est aussi l’un de ses meilleurs. Le « détective » Modiano y est à son sommet. Il passe d’un témoin à un autre, fouille dans les bottins à la recherche d’un nom, explore de fausses pistes. Guy, cet amnésique à la recherche de son passé, finit par retrouver une identité et une histoire – mais sont-ce vraiment les siennes ? A noter, contrairement à bien d’autres titres de Modiano, que celui-ci ne concerne pas Paris : c’est à Rome que se trouve la rue des Boutiques obscures. 

1978 , Patrick Modiano , prix Goncourt pour Rue des boutiques obscures 


1984 : Marguerite Duras pour L’Amant

C’est dans ce roman autobiographique qu’est concentré tout l’art de Marguerite Duras. D’un extrême réalisme, et sur le ton de la confidence, l’autrice y fait une peinture des sentiments amoureux à travers ses souvenirs. C’est dans une Indochine coloniale de l’entre deux-guerre, vers 1930, sur un bac traversant un bras du Mékong, qu’un Chinois richissime s’approche d’une petite Blanche de quinze ans qu’il va aimer.

Bernard Pivot et Marguerite Duras sur le plateau de l’émission « Apostrophes », le 28 septembre 1984  

En couronnant Marguerite Duras pour l’Amant (Éditions de Minuit), les jurés Goncourt font plaisir à ses fidèles. Mais  en plus de trente ans de carrière littéraire, Marguerite Duras a acquis une telle notoriété internationale qu’elle semblait – le président de l’académie Goncourt, Hervé Bazin, le concédait lui-même il y a quelques jours –  » plus proche du Nobel que du Goncourt « .

A suivre …

Source bibliographique

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