« La Roche » de Martin Lichtenberg a pour décor une île sombre, mystérieuse et hostile, où cohabitent plusieurs castes.
Il y a « les Rocheux » qui s’épuisent quotidiennement au travail pour gagner un hypothétique sésame vers « la Capitale », un lieu fantasmé, objet de tous leurs rêves. Des écrans géants disséminés aux endroits stratégiques de l’ile nourrissent insidieusement ce désir. A l’inverse, « les Rocailleux », d’anciens rebelles, semblent résignés et ont abandonné, pour le moment, l’espoir de lutter contre le pouvoir en place. Ils vivent de petits trafics et se perdent dans une débauche destructrice.
Le pouvoir, sur cette ile inhospitalière, est assuré par « la Garde », une entité répressive et corrompue qui régit les départs vers « La Capitale » et en tire un pouvoir exorbitant.
Aux côtés de ces castes, nous découvrons quatre personnalités attachantes, avec lesquelles nous allons vibrer tout au long de ce roman : Sol, Dael, Loo, et la fouisseuse.
Sol est un jeune musicien téméraire et idéaliste qui rêve de prendre le large. Dael, lui, se méfie de ce mirage que la Garde leur fait miroiter. C’est un artisan qui reste convaincu que la Roche peut renaitre de ses cendres. Il essaie d’ailleurs de convaincre Loo, sa très jeune fille, que ce combat vaut la peine d’être mené. Enfin, il y a la fouisseuse, qui s’est confinée dans un sous-marin échoué. Elle passe ses journées à sonder l’océan à la recherche de signaux pouvant la rassurer sur le sort d’un amant disparu.
Un jour, lors d’une cérémonie, Dael sauve Sol qui s’est mis très courageusement au clavier d’un piano abandonné. Sur la Roche, en effet, la musique est interdite. Leur connivence va faire bouger les lignes. Dael convaincra-t-il Sol de lutter avec lui pour redonner des couleurs à la Roche ? Sol persuadera-t-il son sauveur, que leur avenir est ailleurs ? Ou tout espoir est-il inutile ? …
Pour son premier roman, Martin Lichtenberg a su créer un univers imaginaire et très visuel, auquel son écriture changeante selon les personnages et les chapitres, sa poésie moderne, et son talent donnent vie avec une belle émotion. Nous sommes très vite embarqués sur cette île déprimante, mais l’énergie et la combattivité de ces 4 personnages nous permet de garder la tête hors de l’eau et de faire corps avec eux dans leur combat semé d’obstacles.
A leur manière, ils luttent pour rester debout, pour ne pas sombrer dans la servitude, ou l’apathie. Ils nous invitent aussi à faire un pas de côté, à refuser les chemins balisés et nous questionnent sur la place de l’art dans la société.
L’auteur a aussi un concept à la fois original et intrigant : le « fluide ». Pour contrôler la population, « la garde » utilise une « fluideuse » pour le prélever sur les individus lors de contrôles, et mesurer à la fois leur personnalité, leur obéissance, leur créativité …
Avec « La Roche » Martin Lichtenberg nous offre un vrai roman d’anticipation, avec une dimension poétique, politique, environnementale, et sociétale… Dans une société autoritaire, la suppression de la liberté d’expression touche les citoyens dans tous les domaines. Pour contrôler la population on l’aliène au travail, on lui fait miroiter un ailleurs idéalisé, et on réduit son libre arbitre. « L’art, indique Martin Lichtenberg, devient un des derniers refuges qui permet de s’échapper. Il est d’une importance capitale, et pour l’individu, et pour la société. C’est peut-être le domaine où se joue la plus grande liberté humaine, où l’esprit a le moins de limites et où sa force, sa complexité et sa beauté s’expriment le mieux ».
Dès son premier roman, Martin Lichtenberg nous enchante par sa fantaisie, sa poésie et ses mondes imaginaires. Nous lui souhaitons tout le succès qu’il mérite.
Guy Jacquemelle