Courbet , Baudelaire, Jeanne Duval et « l’hymne à la beauté »

En 1855, Gustave Courbet peint une très grande toile (361 X598 cm) appelée « l’atelier du peintre ». Elle est actuellement exposée au musée d’Orsay à Paris.

l’atelier du peintre - Jeanne Duval- Gustave Courbet

Cette toile est un portrait de groupe. La scène se passe dans l’atelier de Courbet. On y voit au centre l’artiste lui-même. Ce tableau se veut un portrait de la société et un témoignage de l’état moral de l’artiste. « C’est ma manière de voir la société dans ses intérêts et ses passions. C’est le monde qui vient se faire peindre chez moi »

Dans ce tableau sur la droite, apparaît le portrait de Charles Baudelaire. Derrière ce portrait ressort de façon étrange, une figure féminine énigmatique d’une grande beauté. On la devine en transparence. Ce serait Jeanne Duval.

Lorsque Courbet réalise son tableau, son ami Charles est fou amoureux de Jeanne Duval, sa muse. Seulement, après une violente dispute et une rupture qu’on imagine douloureuse, Baudelaire demande au peintre de supprimer l’image de la jeune femme. Après un coup de pinceau de Courbet, Jeanne n’est plus qu’un lointain souvenir.

Cette belle Jeanne Duval a inspiré le poème « hymne à la beauté » tiré des fleurs du mal. 

Michèle Jacquemelle

« Hymne à la beauté »  de Baudelaire

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,
Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l’on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton oeil le couchant et l’aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;
De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L’amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l’air d’un moribond caressant son tombeau.

Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton oeil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte
D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ?

De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène,
Qu’importe, si tu rends, – fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! –
L’univers moins hideux et les instants moins lourds ?