Quel bonheur, en plein été, de plonger dans « Ceux du Lac », le dernier roman de Corinne Royer
La famille Serban est une famille tsigane composée de cinq garçons, une fille, et un père veuf et alcoolique. Ils vivent dans une petite cabane en bois près du lac Vacaresti, à quelques kilomètres de Bucarest.
L’ainé de la fratrie s’appelle Sasho, il a 17 ans. Il y a aussi Marcus et Ruben, « les frères du milieu », qui ont 15 et 14 ans, puis les jumeaux Aki et Zoran, et enfin Naya, la petite sœur, à la longue chevelure rousse, qui aura bientôt 10 ans. Ils ont également un vieux chien pataud, presque plus large que haut, nommé Moroï.
Autour de la famille Serban, nous côtoyons, d’autres personnages hauts en couleur : Mémé Zizi et Andréi Martinescu, son fils querelleur, tante Marta, une professeure de littérature contemporaine, et sa fille, Monica ….
Sasho et ses frères ont mis au point une technique un peu dangereuse, mais très efficace pour pêcher les poissons dans la rivière Dambovita.
Ils pourraient poursuivre cette vie âpre et singulière, en marge de la société, continuer ainsi à vendre leurs poissons dans un petit restaurant de la ville, mais les autorités locales ont d’autres projets pour l’espace qu’ils occupent. Ils veulent créer une réserve naturelle sur le lieu de vie des Serban, les forçant à quitter leur petit coin de paradis. Les voici obligés d’abandonner une nature qu’il avaient domestiquée, leurs fantômes, et une certaine idée de la liberté. Ils quittent cette réserve pour une ville où ils seront parqués avec les autres Tsiganes.
Face à l’hostilité du monde, reste alors une ultime promesse, lumineuse : celle faite par Sasho à sa petite sœur Naya de chercher un chemin pour accéder à leurs rêves et de marcher sur les traces des bisons des Carpates…
Inspiré d’une histoire vraie, « Ceux du lac » raconte l’impossible adieu d’une famille tsigane à un univers désormais interdit. Au cœur des contradictions de la Roumanie contemporaine, Corinne Royer interroge notre rapport au vivant et explore le cynisme d’une époque qui expulse au prétexte de préserver.
Corinne Royer a ce talent pour nous inviter à regarder en face la situation douloureuse de populations qui souffrent (on se souvient de Jacques Bonhomme dans « En Pleine Terre ») et de nous faire réfléchir à ceux que nous côtoyons sans les voir, et à ce monde qui nous entoure.
Corinne-Royer-©-Benedicte-Roscot
« Ceux du lac » est une ode à la nature, aux autres, à ces étrangers qu’on discrimine et qu’on parque. Le roman alterne entre prose et poésie, entre une nature sauvage qu’il faut apprivoiser et un déracinement toujours si douloureux.
Remarquablement construit, d’une écriture dense, empathique et élégante, Corinne Royer parle magnifiquement de déracinement, de mépris, de luttes, de rêves, d’amour et de poésie…
Guy Jacquemelle
« Ceux du Lac » de Corinne Royer ( Seuil) : Parution le 19 août 2024