Au départ cela ne devait être qu’un recueil d’anecdotes de soirées, de » petits tableaux tout à fait véridiques « , de récits de voyages et d’anthropologie. Plus tard cela devint La ferme Africaine.
Les souvenirs de l’écrivain danois Karen Dinesen, baronne Blixen Finecke (1885 – 1962), furent publiés en anglais en 1937. Elle a publié ses livres parfois sous le nom de Isaak Dinensen.
L’auteur, qui a vécu au Kenya de 1914 à 1931, raconte la vie dans sa ferme de culture de café à proximité de Nairobi. C’est une exploitation immense et féodale. La maîtresse, la » m’saba » règne sur elle comme un seigneur du moyen Age, qui aurait toute la largeur d’esprit d’une femme cultivée du XXe siècle.
Intelligence et culture, originalité et fantaisie, récits et souvenirs s’efforcent de dégager un élément capital de la vie de l’auteur : la découverte de l’âme noire.
Elle écrit à ce propos : » Les Noirs, en effet, sont en harmonie avec eux-mêmes et leur entourage, intégrés à la nature……Dès que j’ai connu les Noirs, je n’ai eu qu’une pensée, celle d’accorder à leur rythme celui de la routine quotidienne que l’on considère souvent comme le temps mort de la vie « .
Aimant passionnément la population indigène, Karen Blixen décrit ses mœurs, ses lois, ses habitudes, la forme à la fois mythique et panthéiste de son esprit, et elle se livre à une critique indirecte de la civilisation européenne.
Il y a dans le livre d‘exceptionnelles descriptions de paysage et d’admirables pages sur la vie des animaux.
Dans La ferme Africaine, la façon dont sont vues la ferme et sa vie est semblable au point de vue que l’on a du haut des airs, à une telle distance que même les désastres ont la beauté d’un motif. L’étendue de la vision que procure un avion qui survole un pays est un point de vue des plus avantageux. C’est la perspective supérieure que possède l’artiste ou l’aristocrate.
Karen Blixen est une conteuse, et les attitudes chevaleresques qu’elle adopte envers la vie, transforment les souffrances et les tragédies qu’elle a endurées en quelque chose de sublime. Elle transcende son vécu, et tend vers une perception plus riche des choses.
La calme perfection de son style, qui ne s’embarrasse pas de détails, sont le signe que nous avons quitté la gravité des choses pratiques pour atteindre un milieu plus pur, qui offre moins de résistance à l’idéal.
La ferme Africaine fut écrit à une époque où son auteur percevait clairement qu’il manquait un sens à sa vie et la terrible catastrophe qui l’affecta, elle s’attache à la réparer de façon sublime.
Peut-être ce choix de sublimation procède-t-il de son fatalisme, de son amour du destin » la fierté […] des desseins de Dieu sur nous, lorsqu’il nous créa « . Fatalisme autoritaire qui s’exprime sous forme de l’honneur grâce auquel elle a le privilège de comprendre les tragédies. » Si un homme a une idée de l’honneur que rien ne peut ébranler, déclara Karen Blixen, il est à l’abri de tout ce qui peut lui arriver « . Le fait qu’il puisse perdre quelque chose à quoi il tient – sa ferme, sa vie, peut-être – n’affectera pas en l’occurrence la valeur de la seule chose qui ait pour lui quelque importance : l’expérience en soi.
Rosanna Delpiano
Sources bibliographique :
Karen Blixen, La ferme africaine, Folio, Editions Gallimard
Judith Thurman, Karen Blixen, Biographie, Editions Seghers
Robert Redford et Meryl Streep
Photo du film Out Of Africa de Sydney Pollack (1985)