Orlando est certainement l’un des films les plus audacieux des vingt dernières années qui traite avec ironie de l’identité des genres en général et du combat des femmes contre l’oppression patriarcale.
Réalisé par Sally Potter en 1992, il reprend librement le roman Orlando (1928) de Virginia Woolf. Orlando est donc l’adaptation d’un roman d’une des intellectuelles et écrivains les plus influentes du début du vingtième siècle par une cinéaste à la personnalité tout aussi intéressante. Seule différence notable mais qui reste un clin d’œil au roman : alors que Virginia Woolf choisit de terminer l’histoire en 1928, date de rédaction du livre, Sally Potter l’arrête dans les années 1990, au moment du tournage.
Orlando déroule la destinée d’un jeune homme qui vieillit peu ou si peu en quatre siècles : en 1600 il sort tout juste de l’adolescence et à la fin du film situé au début des années 1990 il n’a guère qu’une quinzaine d’années de plus qui signent sa maturation psychologique après la longue traversée des siècles. Le seul témoin de l’écoulement du temps est révélé par les iris de l’actrice Tilda Swinton dont la teinte varie à chaque époque passant du vert au brun foncé.
Cette éternelle jeunesse lui a été mystérieusement octroyée par la reine Elisabeth Ier (ici jouée par l’icône anglaise gay Quentin Crisp, qui choqua dans les années 1970 l’Angleterre en se maquillant et en portant des vêtements féminins) qui avait choisi à la fin de sa vie le courtisan Orlando comme son favori.
Non content d’échapper à la loi du sablier, Orlando défie également toute identité sexuelle fixe. Joué par une seule actrice, Tilda Swinton, Orlando naît homme et se réveille femme après un long sommeil. A son réveil, le personnage observe sa nouvelle morphologie et sourit au spectateur : « Même personne. Aucune différence. Juste un sexe différent ». Bien sûr ne peut-on qu’acquiescer, tant le changement paraît naturel et indolore au personnage ! Pourtant, à son retour en Angleterre après avoir été ambassadeur en Orient et avoir changé de sexe, les ennuis s’accumulent avec une cruelle ironie. Orlando se voit obligé de signer un papier, reconnaissant officiellement son changement de sexe. Le film soulève ainsi les difficultés juridiques que connaissent les transsexuels, notamment en droit français où les changements de genre sur l’état civil ne sont que très rarement réalisés. Une fois ce changement de sexe officiellement reconnu, mademoiselle Orlando est dépossédée de toutes les terres dont elle aurait du hériter en tant qu’homme. Enfin, Orlando se fait poursuivre par les assiduités de l’archiduc Harry qui désire l’épouser tout en lui permettant de la sorte de regagner ses terres. Mais Orlando préfère fuir et garder sa liberté de corps et d’esprit, offusqué par les mots de l’archiduc :
Harry : Vous êtes mienne.
Orlando : En quel honneur ?
Harry : Parce que je vous adore.
Ce dialogue, il l’avait déjà eu plusieurs siècles auparavant, lorsqu’il avait aimé la jeune Sasha, fille de l’ambassadeur de Russie et cette fois c’était lui l’homme tenté de posséder une jeune fille jalouse de sa liberté. Orlando, en agissant de même que Sasha deux siècles plus tard, peut ainsi comprendre pourquoi celle-ci l’avait abandonné.
Orlando, de même que son auteure Virginia Woolf, connaît enfin le succès en 1928 et gagne un prix littéraire pour son roman Le Chêne qu’elle a écrit d’après sa propre histoire. On la voit silencieuse avec sa longue natte rousse, posément assise les bras croisés dans le canapé en cuir de son éditeur, – façon élégante et humoristique d’asseoir l’égalité intellectuelle des hommes et des femmes.
Le film termine sur un Orlando féminin des années 1990 vivant seul avec sa fille montrant une fois de plus une femme libre et forte de son destin mouvementé. Dans les champs, où la petite fille tourne une vidéo avec une camera super8, un ange – figure asexuée par excellence- apparaît dans le ciel qui chante ces mots subversifs : « ni un homme, ni une femme » (neither a man, nor a woman).
Sally Potter signe ainsi un film à la photographie stupéfiante, au sens de l’humour acide et à la portée critique qui séduiront ceux qui n’ont pas lu le livre. A voir !
Remarque : Le roman de Virginia Woolf est dédié à son amante Vita Sackville-West, également poète. Le fils de Vita, Nigel Nicolson a déclaré par la suite qu’Orlando était « la plus longue lettre d’amour de l’Histoire ».
Inès
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Orlando de Sally Potter sur le site Excessif