C’est Dominique Blanc, l’une des actrices fétiche du metteur en scène et cinéaste Patrice Chéreau qui incarne depuis le 7 janvier 2003 Phèdre de Jean Racine dans la production de l’Odéon-Théâtre de l’Europe.
Le rôle, initialement prévu pour Isabelle Adjani, est finalement revenu à Dominique Blanc qui a triomphé dans Une maison de poupée sur la même scène en 1997 et qui fut aussi la confidente de La Reine Margot à l’écran.
Pascal Greggory, Eric Ruff et Michel Duchaussoy font également partie de la distribution. La troupe jouera l’une des pièces réputées les plus difficiles du répertoire classique sur une scène déplacée dans les anciens entrepôts de décors de l’Opéra Comique, boulevard Berthier, transformés en salle de spectacles modulable d’environ 500 places.
Phèdre est la grande tragédie des aveux
« En 1995, à la fin des répétitions de Dans la solitude des champs de coton, la costumière Moidele Bickel dit à Patrice Chéreau : « Maintenant, tu dois faire Racine, et de la même façon », ajoutant qu´il lui revenait d´en explorer la langue »comme cela ». L´invitation, dans ce qu´elle avait d´énigmatique, n´était pas faite pour être oubliée ; en relisant Racine, Chéreau vit le sens qu´elle prenait pour lui. La traversée de l´oeuvre de Koltès l´avait peut-être préparé à déchiffrer, sous la clarté des chaînes de la syntaxe, la hantise d´une autre face du langage, fuyante, enfouie, indicible, condamnée pourtant à s´ouvrir avec insistance une voie vers le jour.
Phèdre est la grande tragédie des aveux, que l´inavouable sous-tend à chaque pas. Toute l´intrigue est rythmée par l´agonie, formant une brève parenthèse solaire et implacable séparant les deux protagonistes de leur fin. Phèdre et Hippolyte sont comme les deux versants d´un même destin (Racine associe d´ailleurs leurs deux noms en 1677 dans le titre de l´édition originale, dont la ponctuation fluide et sinueuse a la préférence de Chéreau). L´un de ces versants est pur ; l´autre est maudit. Mais ils ne se laissent pas séparer et semblent dans leur duel se contaminer l´un l´autre, nouant d´étranges complicités.
L´un et l´autre, succombant à la tentation, laissent échapper une parole qui nomme leur désir ou leur faute, et que rien ne rattrapera plus. L´un et l´autre, en gardant le silence sur leur face-à-face, se feront complices d´un même secret fatal. Et tous deux, quand s´ouvre le drame, sont en fuite.
Dès le premier vers, Hippolyte proclame sa décision : partir à la recherche de Thésée. Rêvant d´errance et d´aventure, il se voudrait l´émule de son père, « Héros intrépide » qui purgea l´univers de ses « Monstres étouffés ». Phèdre, dès son entrée, annonce en revanche qu´il lui faut « demeurer ».
Elle ne peut disparaître qu´en se laissant mourir, marchant ainsi sur les traces d´un époux « qui va du Dieu des morts déshonorer la couche ». Hippolyte voudrait filer à la surface du monde ; Phèdre, s´enfoncer vers les Enfers. De Thésée, le grand absent héroïque et volage, le maître paradoxal de l´ordre et de la jouissance, dont la volonté fait loi au point que ses paroles prennent corps, son fils voudrait imiter les exploits, et son épouse, la puissance de transgression… Pour explorer les secrets de cette « injuste Famille », Patrice Chéreau a réuni Pascal Greggory (Thésée), Eric Ruf (Hippolyte) et Michelle Marquais (Oenone), Michel Duchaussoy (Théramène) et Marina Hands,Agnès Sourdillon et Nathalie Bécue. Et c´est à Dominique Blanc (que le public de l´Odéon a tant aimée dans Une maison de poupée, en 1997), qu´il a choisi de confier, après des années de travail commun, l´un des rôles les plus importants et les plus lourds du répertoire ».
Daniel Loayza
Extrait du dossier de presse