La comédienne Rachida Brakni, qui a été pensionnaire de la Comédie Française entre 2001 et 2004, et qu’elle a quittée pour mener une carrière au cinéma, publie « Kaddour » (Stock), son premier livre : un récit qui se déroule sur 6 jours, du samedi 15 Août 2020 au Jeudi 20 Août 2020.
Le livre s’ouvre par une citation de Christian Bobin : « Ce n’est pas pour devenir écrivain qu’on écrit. C’est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour ». Et ce livre est une magnifique déclaration d’amour d’une fille à son père, Kaddour, qui est mort le jour où commence le livre.
Avec beaucoup de pudeur, de sincérité, et aussi d’humour, la comédienne évoque à la fois les souvenirs de ce père à qui elle a toujours voué une grande affection, et les difficultés matérielles que la famille va rencontrer pour que, selon son souhait, Kaddour puisse être enterré dans son village natal en Algérie.
En effet, durant l’été 2020, nous sommes toujours en pleine crise sanitaire. Quels vont être les obstacles administratifs à franchir ? Quels sont les documents à fournir aux autorités ? Quelles sont les autorisations nécessaires pour organiser le transfert du corps et ces funérailles ? Et la question la plus importante que se pose l’auteure : les laissera-t-on faire le voyage en Algérie alors que les frontières entre les deux pays sont toujours fermées ?
Entre les difficultés à gérer durant ces quelques jours, l’ex-pensionnaire de la Comédie Française convoque ses souvenirs et fait revivre les grands moments de sa famille.
Et reviennent des images de la 505, que Rachida et son frère nettoyaient de fond en comble chaque été et qui permettait à toute la famille de traverser la France et l’Espagne pour se rendre en vacances en Algérie sous une chaleur écrasante. Chaque millimètre de l’habitacle était âprement négocié entre les parents et les 3 frère et sœurs.
L’auteure fait revivre ce père, discret, dont les silences cachaient tant de mystères et de douleurs. Il n’évoquait jamais la mort prématurée de ses parents, les neuf ans de misère dans les rues de Tipaza qui s’en étaient suivies, et comment il avait survécu à ces années de dénuement. Puis en 1955, il quitte l’Algérie et arrive en France, où il trouve un travail d’ouvrier puis de chauffeur routier.
Cette période difficile a été illuminée par la rencontre de Kheira qui allait devenir son épouse et la mère de ses trois enfants. Le lendemain même de leur rencontre, Kaddour lui fait sa demande en mariage : le couple se précipite à la mairie, « alpague deux inconnus » pour lui servir de témoins, et à l’échange des vœux, les mariés réalisent qu’ils ont oublié les alliances.
L’écrivaine a ce talent d’illuminer son récit de souvenirs drôles ou émouvants : ainsi le quiproquo avec sa maitresse de CE2 qui lui demande où elle a passé ses vacances, et la confusion entre la Province et la Provence ; cette voisine malveillante qui vient raconter à Kaddour qu’elle a vu sa fille discuter avec des garçons, et qu’il éconduit d’une cinglante et savoureuse réplique : « Je ne sais pas de qui vous parlez. Je n’ai que des garçons. » ; les quelques gouttes de Fabergé dont son père se parfumait le dimanche matin ; la première de Rachida Brakni à la Comédie-Française dans « Ruy Blas », et le commentaire de Kaddour comparant la robe de sa fille à celle d’Alice Sapritch dans « La Folie des grandeurs » et trouvant que « Victor Hugo ne manquait pas de culot de plagier de la sorte Gérard Oury ».
Pour son premier livre, Rachida Brakni nous offre, avec ses mots élégants et subtils, un magnifique portrait croisé : celui de son père silencieux ne sachant ni lire ni écrire, mais tellement attachant et à qui elle voue une reconnaissance infinie ; et en creux le portrait d’une jeune fille solaire au cœur immense. Avec « Kaddour », Rachida permet à ses parents de sortir de l’anonymat et donne à voir, avec une grande tendresse, leur complexité et leurs nuances.
Guy Jacquemelle
Kaddour de Rachida Brakni (Stock) : En librairie le 6 mars 2024
Rachida Brakni