Notre rendez-vous :
La nuit tombée, un café spacieux à Paris 13è proche de la BNF, à l’heure de l’apéro. En avance sur le rv, je feuilletais un magazine lorsqu’un brun longiligne aux lunettes rondes me posa une main discrète sur l’épaule pour annoncer son arrivée. David Foenkinos, ponctuel, prit place en face de moi et rangea rapidement son téléphone portable.
Actualité :
David Foenkinos a publié « En cas de bonheur » chez Flammarion fin Août 2005. Il a été en lice avec ce roman pour le prix Interallié 2005 jusqu’en 2è sélection (lauréat cette année : M.Houellebecq pour « la possibilité d’une île »). Il est également réalisateur de court-métrage et musicien.
Portrait de David Foenkinos
© Copyright Flammarion
Shadi Biglarzadeh : Bonsoir David Foenkinos, juste pour vous prévenir : je commence toujours par cinq questions courtes et un peu bizarres, alors dites-moi, êtes-vous collectionneur de jetons à caddie ou de coupons de carte orange ?
David Foenkinos : Bonsoir Shadi, pas de problème pour les questions bizarres ! eh bien je dirais collectionneur de jetons à caddie
Truffaut ou Fellini ?
Truffaut
Solal ou Valmont ?
Solal bien sûr !
La Perla ou Victoria’s Secret ?
Ni l’un ni l’autre. (silence discret) mais au fait qu’est-ce que c’est ? ah oui ça me revient, disons « La Perla »
« Six feet under » ou « Sex & the city » ?
Je n’ai pas vu ces séries, mais de ce que j’en sais je dirais « Six feet under »
La première question qu’un ami m’ait posée sur vous c’est : Foenkinos ça vient d’où ?
Eh bien c’est d’origine grecque.
C’est fou ce que les gens sont parfois interpellés par les noms originaux, et j’en sais quelque chose (!), vous ne trouvez pas ?
Ils sont interpellés certes , mais ils sont aussi rebutés, parce que je pense que Foenkinos ça fait un peu peur aussi !
Mais alors pourquoi n’avez-vous pas pris de pseudonyme ?
Tout simplement parce que Foenkinos ça fait écrivain (rires) !
Alors comme ça il y a des noms qui font écrivain, et d’autres qui sont perdus d’avance ?
Ah oui..oui ! par exemple je peux vous dire -à mon avis-, que Michel Houellebecq n’aurait sûrement pas fait la même carrière avec son vrai nom Michel Clément.
Quel est votre parcours ? votre âge ?
J’ai fait des études de lettres à la Sorbonne, et une école de Jazz à Paris, puis j’ai été professeur de guitare pendant plusieurs années. J’ai essayé de monter des groupes pendant des années, et cela n’a jamais marché. Pourquoi ? parce que je n’ai pas trouvé de bassiste alors je me suis mis à devenir écrivain (rires) ! Quant à mon âge je viens d’avoir 31 ans.
J’ai lu dans une de vos interviews que s’il y a une raison de vous lire, c’est parce que vous êtes connu en Roumanie ?
Ah oui ! on m’a demandé de vendre mon livre dans une interview alors j’ai instantanément sorti cette boutade.
Je la trouve personnellement très drôle !
Oui, je réponds souvent comme ça , j’aime bien répondre parfois un peu n’importe quoi, mais si c’est drôle alors ..
Mais vous répondriez n’importe quoi à mes questions aussi ?
Non, non ce n’est pas ce que je voulais dire ! mais je tiens à vous préciser que ce n’est pas tout à fait faux pour la Roumanie finalement. Car c’est le seul pays étranger où tous mes livres sont traduits !
Mais vous voyagez beaucoup alors ?
Oui pas mal
Pour vous-même ou alors pour la promotion de vos livres à des salons étrangers ?
Plutôt pour la promotion des livres à l’étranger. En fait quand je suis en vacances, je préfère rester chez moi, pour être tranquille mais aussi pour écrire. Mon grand bonheur c’est d’avoir un emploi du temps vierge, ne rien faire en semaine, ne rencontrer personne !
Vous êtes un véritable écrivain alors. à rester chez vous un peu cloîtré, pour mieux vous concentrer ?
Oui peut-être, mais en tout cas je n’ai pas de contrainte. Rien ne m’excite plus que de n’avoir aucun rendez-vous dans la semaine !
Vous vous ennuieriez dans mon travail alors…
Ah oui, c’est possible !
Vous avez effectué – vous l’avez dit à la télévision l’année dernière – un voyage en Egypte avec Florian Zeller (votre ami) où vous étiez tous deux invités à un salon du livre, c’est ce qui lui a inspiré « la fascination du pire ». Avez-vous réellement fait avec lui ce qui est décrit dans son roman? est-ce vous le héros prénommé Martin ?
Tout est autobiographique dans ce livre. Nous avons vécu une grande part des choses qui sont évoquées dans le roman de Florian Zeller à une exception près, l’écrivain obsédé sexuel Martin Millet ! Donc pour répondre à votre question, je ne suis pas ce Martin là, mais en revanche je suis bien le deuxième écrivain invité au Caire. Ce livre est né du constat de plusieurs écrivains sur place, car nous étions plusieurs et non pas que tous les deux.
Racontez-nous où êtes-vous allé récemment ? qu’apprenez vous de ces rencontres dans d’autres pays ?
Cette année, je suis allé au Brésil, en Roumanie, en Allemagne, en Espagne, en Pologne. J’ai une vraie attirance pour les pays de l’Est : de l’Allemagne à Moscou. Ces pays-là me fascinent car lorsque l’on rencontre des poètes moustachus roumains, on n’en sort pas indemne ! Les intellectuels parlent tous français là-bas d’ailleurs, donc ce n’est pas un problème pour se comprendre. À l’étranger, on est nu de notre image, il ne reste que le livre.
Qu’est-ce qui est important pour un auteur ? d’être traduit dans un pays important ou dans plusieurs petits pays ?
Pour ce qui me concerne, il y a un pays très significatif pour moi : c’est l’Allemagne.C’est un pays que je considère beaucoup et qui me passionne aussi, car je suis germanophile, autant que vous êtes italianophile donc vous pouvez imaginer !
Vous n’avez donc « que » 31 ans et avez déjà publié 4 romans, leur dénominateur commun l’humour, la sensibilité et le couple aussi. Pourquoi ces choix ?
Pour le couple je n’ai vraiment pas fait exprès ! on ne choisit pas son univers.
Quand on commence à écrire sur ces sujets, on ne se dit pas : non pas ça c’est archi- rebattu, je vais me casser les dents ?
Mon dernier livre traite d’un sujet archi rebattu c’est certain, très commun aussi. Mais l’idée était de l’intégrer surtout à mon propre univers, avec le surréalisme, la folie et le délire qui va avec ! Prenons l’exemple de Madame Bovary, l’histoire est très classique voire banale, une femme qui se lasse d’un mari ennuyeux et qui prend un amant. L’intérêt du livre n’est pas le sujet mais la manière de le traiter, c’est valable pour beaucoup de choses.
Dans votre dernier roman « En cas de bonheur » vous parlez, de l’effritement du couple, des conséquences de l’adultère et tout ça avec de l’ironie, un style drôle et souvent fantaisiste. l’inspiration vient d’expériences vécues ou alors c’est 100% gymnastique cérébrale ?
Dans « En cas de bonheur », je dirai que c’est la première fois que j’écris en m’inspirant d’histoires personnellement vécues (et qui ne sont pas forcément là où on le pense d’ailleurs !). En revanche dans mes trois précédents livres tout est 100% fiction, il n’y a aucune inspiration de la vie réelle.
Que pensez-vous de la génération des trentenaires d’aujourd’hui qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se caser ? j’entends dans une vie de couple bien sûr !
D’une manière générale je n’ai un avis sur rien et encore moins quand il y a le mot génération dans la question !
Est-ce Claire Chazal, la « Claire C. » à qui vous dédiez votre livre ?
Non ce n’est ni Claire Chazal ni Claire Castillon d’ailleurs qui a les mêmes initiales, mais il s’agit de mon premier grand amour.
Qu’est-ce qui fait qu’un auteur persiste à écrire sur un thème ? le succès ou l’obstination ?
« Le potentiel érotique de ma femme » a eu beaucoup de succès à l’étranger, il traite de l’absurdité, de la fascination sensuelle et je ne pense pas du tout que « En cas de bonheur » traite de ces sujets-là. Je n’aurai jamais fait deux fois le même livre, mais ils ont toujours une certaine logique.
Cela dit, c’est vrai qu’il y a un nombre important d’auteurs qui font le même style de livres et sont très bien comme ça.
Qui d’autre vous fascine chez les écrivains (français et internationaux) ?
Albert Cohen qui a bouleversé ma vie. Il y a aussi Gombrowicz, Jean Philippe Toussaint.
Il n’y a aucun italien !
Si j’aime bien Alessandro Barrico aussi.
Qu’est-ce qu’un succès littéraire pour vous : un succès commercial ou un succès d’écriture et de profondeur ? ou les deux ?
Pour moi Houellebecq a les deux !
Ca c’est votre avis ! justement en parlant de lui, vous étiez en compétition pour le prix Interallié 2005. Que pensez-vous de la remise du prix à Houellebecq ?
C’est mérité, c’est un écrivain majeur d’aujourd’hui. J’aime beaucoup ses livres. C’est à l’honneur de l’Interallié de l’avoir primé.
Tous les écrivains ont une « autre activité » à côté de l’écriture de romans, dramaturges, scénaristes, réalisateurs, politiques, journalistes, etc.. et vous ? avez-vous une activité « officielle » à nous communiquer ? je crois que vous avez déjà écrit pour le cinéma, non ?
Oui tout à fait, et je viens même de terminer mon premier court métrage avec l’aide de mon frère Stéphane cela s’appelle « une histoire de pieds », il s’agit en fait d’une histoire d’amour vue par les pieds.
Cela dit, je ne me consacre plus qu’à l’écriture de livres.
La technologie vous exalte-t-elle ou vous rebute-t-elle ?
Je suis très en retard. On m’a prêté un « I-Pod » (baladeur mp3 d’Apple, ndlr) je suis fasciné par cet objet c’est trop génial. En revanche j’aimerais m’en acheter un pour moi mais cela me rebute, c’est trop compliqué !
Vous fréquentez-vous entre auteurs (amis) pour « brainstormer » comme dans les autres métiers ? je dis ça car l’ écriture c’est avant tout une aventure purement solitaire.
Oui on partage beaucoup entre amis écrivains. On échange quelques idées, on se relit les uns les autres, et on demande des avis.
Philosophons un peu, pouvez-vous nous dire « Qu’est-ce qu’une vie réussie » ?
Une vie réussie est une vie compliquée.
Quelle caractéristique fondamentale, faut-il avoir -selon vous- pour être écrivain aujourd’hui ?
Etre sensuel.
Qu’est-ce qui vous fait trembler ?
Le choix !
De quoi avez-vous abusé ?
Vous diriez quoi vous Shadi ?
Moi sans trop réfléchir, je dirai . du chocolat, malheureusement ! et vous ?
Disons que j’ai abusé des « vies » ( réincarnation)
Où aimeriez-vous être perdu ?
A Toulouse.
Abordez-vous des gens inconnus dans la rue?
J’adore aborder des gens qui abordent des gens dans la rue ! eh oui. Et pour leur demander ce qu’ils ont dit et en savoir plus sur comment aborder des gens dans la rue.
Reconnaîtriez-vous une personne avec qui vous avez fait l’école primaire ?
Oui j’ai une excellente mémoire.
Qu’aimez-vous par-dessus tout ?
Le film « Eternal sunshine of the spotless mind »
État présent de votre esprit ?
Rentrer embrasser mon fils avant qu’il ne se couche
Quelle est la dernière question qu’il ne faut pas que je vous pose ?
Ce que je vais faire demain !
Et celle que je dois vous poser ?
Ce que je vais faire après-demain !
David, avez-vous une ou plusieurs questions à me poser ?
Oui, écrivez-vous Shadi ?
Shadi Biglarzadeh : Oui, mais le temps me manque cruellement, et cela m’attriste.
Enfin, David, pourquoi avez-vous accepté cet entretien avec moi ?
Parce que mon éditeur me l’a fortement conseillé, et aussi parce que vous avez un nom bizarre.
Propos recueillis par Shadi Biglarzadeh
Consultante en stratégie-organisation (Nouvelles Technologies)
shb_alalettre@yahoo.fr