Introduction
collection S et G. Hansel provenant du Nouvel Observateur du 27 février 2003
« Mais nous devons aussi admettre que la littérature, actuellement du moins encore, constitue non seulement une expérience propre, mais une expérience fondamentale, mettant tout en cause, y compris elle-même, y compris la dialectique (…) l’art est contestation infinie. » Maurice Blanchot
Si l’empathie suffit avec bon nombre d’écrivain pour essayer d’approcher qui ils sont, ce qu’ils ont voulu dire et comment ils l’ont dit, Maurice Blanchot résiste à cette tentative.
Né en 1907 à Quain en Saône et Loire, il n’est ni un écrivain engagé au sens traditionnel du terme, n’a jamais été surréaliste, ni dadaïste, ni existentialiste, ne s’est jamais proclamé chef de file ou partie prenante d’un quelconque courant littéraire ou intellectuel, n’a été ni collaborateur, ni résistant…. S’il est intervenu dans la vie publique, par la publication d’articles (à droite entre les années 30 et 40, puis à gauche de 1958 à 1968), il surprend, dans un siècle où les intellectuels ont acquis une part de leur notoriété par des déclarations, démentis, et autres gesticulations verbales, par son silence; condition nécessaire, pour lui, à toute création.
C’est à l’intérieur de cette (non-)sphère, qu’il se fixe pour objectif d’interroger l’objet de sa création et celle des autres écrivains, les conditions de réalisation (et de non-réalisation) de cette création et la place spécifique qu’occupe l’écriture littéraire à l’intérieur du vaste ensemble constitué par le langage. Langage, lui-même point d’ancrage de toute expérience humaine tant au niveau individuel que collectif.
Souvent qualifiée, à juste titre, de complexe, sa pensée (en constante recherche d’elle-même) est au confluant de la philosophie (Hegel, Nietzsche, Heidegger, Merleau-Ponty, Levinas…), de l’analyse littéraire (Mallarmé, Lautréamont, Sade, Rilke, Kafka…), de la mythologie (notamment du mythe d’Orphée qu’il revisite), sans pour autant jamais se soumettre à aucune discipline particulière, exceptée l' »écriture ».
Essayiste, « romancier » , écrivain de « récits », son travail théorique précède et suit son oeuvre de fiction, qui se présente, de son côté, comme sa face expérimentale.
Après des romans de facture assez classiques, marqués par l’influence de Kafka, ses récits deviennent de plus en plus « épurés », dégagés de toute description (psychologique, morale, sociale, psychique, temporelle, spatiale…). Blanchot déploie un espace et une temporalité propre reposant sur l’attente, l’absence, l’interruption, l’oubli, le silence…
A la fin du Dernier Homme, on assiste à une nouvelle évolution, avec le passage d’une écriture ancrée dans la répétition et la circularité, dont émanait un sentiment « d’étrangeté », à une écriture fragmentaire où préside un principe d’économie ou « de rareté », avant que les catégories traditionnelles de la littérature se côtoient, sans pour autant se dissoudre, à partir de L’entretien infini, dans des récits mêlant méditations sur la littérature, fictions, essai, critique…
Plonger dans un récit ou un essai de Blanchot, est une expérience ardue et passionnante.
Cette lecture, notamment pour la partie fictionnelle de son oeuvre, suppose un « accord de principe » reposant sur la patience, l’écoute, la participation et la curiosité pour cette écriture en perpétuelle quête d’elle-même, de ses origines, de ses fonctions…
Ses récits fictionnels, nous invitent à suivre des personnages sans ego, (situés dans des lieux réduits à des initiales et des temporalités indéterminés), évoluant à l’intérieur de récits nourris du silence de la signification (que ce soit à travers le principe de répétition donnant lieu à un dédale de logorrhées, ou le fragment, reposant sur un principe d’inachèvement).
Par le sentiment d’angoisse, même ténu, auquel le lecteur est exposé, face à cette écriture, qui diffère, à travers la production de mots, de questions, et de silence, la production d’un « sens » auquel se référer, Blanchot ouvre les portes d’un » autre monde » :
L’écriture littéraire est une « expérience totale » dépassant tous les cadres de l’expérience sensible (ou « vécue »), puisqu’elle se présente, dans sa réalisation même, comme expérience de ce qui n’existe pas. N’entrenant ainsi plus aucun rapport avec le réel, elle n’a d’autre finalité qu’elle-même. Le lecteur doit donc se débarrasser de ses référents traditionnels, pour aborder le texte (libéré, de son côté, de tous ses « artifices »), avec légèreté.
Dans le même temps, la densité de ces mots qui n’expriment, à travers la matérialité brute de leur présence, que l’absence de « tout le reste », ont une puissance étonnante :
Blanchot déconstruit dans ses récits et dans un acte volontaire (et non sous l’impulsion d’une quelconque « inspiration » ou libération de quelque « puissance créatrice »), l’intégralité des éléments du réel : il n’ y a plus de « je » (pas plus celui de l’écrivain que de « personnages »), il n’y a plus d’intrigue, il n’y a plus de sens caché (ou d’idéologie), derrière l’aridité de la succession des mots … Ne nous est offert que le spectacle d’une superposition de conscience sans sujet, de désir sans objet, d’événements sans passé ni avenir.
Il serait alors vain, de chercher dans, hors, au delà (….) de cette errance, un quelconque sens « sous-jacent ».
Cette dimension supposerait, soit la mise en perspective par un auteur « tout puissant » d’un mystère ou d’un message, qui, bien que dissimulés, préexisteraient à l’acte d’écriture, soit une attitude de lecture aussi autoritaire que vaine, où le lecteur, tenterait de se substituer à l’écrivain.
A travers sa pratique poétique, Blanchot nous invite plutôt à partager le risque d’expérimenter la densité autant que la précarité de cet espace orphique, point de tension extrême, que Blanchot désigne sous la terminologie du « neutre ».
Si l’on peut considérer cet espace comme un lieu vide, déshumanisé, placé sous le signe du désastre, il est aussi, et ce sans exclure le premier mouvement, un lieu dégagé de toute nécessité (autre qu’elle-même). Un espace subversif, car affranchi de toute contrainte (morale, sociale…), de toute norme, de tout référent (idéologique, philosophique, psychologique)… Un lieu de questionnement radical.
Dans cette perspective, si « l’écriture littéraire », est bien l’objet/sujet des récits de Blanchot, cette dimension auto-réflexive n’est pas la seule active dans ses récits. Ou pour être plus précis, cette forme d’écriture singulière, qu’est l’écriture littéraire, est la porte d’accès à un espace d’expérimentation des conditions de production de toute forme de langage. Questions renvoyant, certes, à la singularité de l’expérience artistique (en tant qu’expérience de production et de réception), mais aussi à la singularité de l’expérience humaine, en tant qu’être à soi (quelles sont les rapports de l’être et du langage? du sujet et de sa parole?) et qu’être au monde.
Ainsi, le projet blanchotien apparaît autant esthétique, qu’éthique voire politique.
Toutefois, moins naïf que les surréalistes, il ne croit pas que la poésie ou les mots puissent changer le monde.
Toutefois encore, plus poète que révolutionnaire, il croit en la puissance contestataire du Verbe
Toutefois encore (bis), moins esthète que bien des intellectuels, il ne cesse de s’interroger sur les limites et les contradictions inhérentes à toute prise de parole, en même temps que sur sa valeur éthique
Toutefois toujours, moins dogmatique que bon nombre de ses contemporains, il ne cherche, pas à résoudre ces apories, par quelque détournement « idéologisant » de sa pratique.
Toutefois toujours (bis), plus écrivain que toute autre chose, sa pratique poétique est un espace (d’écriture et de lecture) de l’expérience impossible en même temps que de la quête, incessamment renouvelée, de l’autre, du tout autre que constituent, aussi bien l’espace littéraire que, (par la radicalité de son éviction), l’ensemble du réel, qui demeurent, de manière irréductible, placés sous le signe de leur présence et de leur absence, soit, de leur questionnement infini…
Agnès Pégorier
Biographie
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Oeuvres
1941 | Thomas l’Obscur |
1942 | Aminadab |
1943 | Comment la littérature est-elle possible ? |
1947 | Le dernier Mot |
1948 | L’Arrêt de Mort Le Très Haut |
1949 | Lautréamont et Sade La part du feu |
1951 | Au Moment voulu Le ressassement Eternel |
1953 | Celui qui ne m’accompagnait pas |
1955 | L’Espace Littéraire |
1957 | Le Dernier Homme |
1959 | Le livre à Venir |
1962 | L’Attente l’oubli |
1980 | L’Ecriture du désastre |
1981 | De Kafka à Kafka |
1986 | Sade et Restif de la Bretonne |
1987 | Sur Lautréamont |
Liens
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