La Controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière
Présentation du roman
Quatrième de couverture
Dans un couvent de Valladolid, quelque soixante ans après la découverte du Nouveau Monde, deux hommes s’affrontent : les Indiens sont-ils des hommes comme les autres ? Pour le dominicain Las Casas, ardent défenseur de la cause indienne, cela ne fait aucun doute: les Espagnols, avides de conquête, ont nié l’évidence, assujettissant et massacrant les indigènes par millions. Face à lui, le philosophe Sépulvéda affirme que certains peuples sont nés pour être dominés. Tous deux s’entendent sur un point : le nécessaire salut des âmes.
L’issue de ce débat passionné, déterminante pour des millions d’hommes, pourrait bien être surprenante…
Dans ce livre, Jean-Claude Carrière raconte un fait historique se déroulant en 1550. La colonisation des Amériques a commencé. Les Espagnols voulaient tirer un grand profit de ces colonies, alors ils envoyaient des armées. Cependant les soldats ont massacré bon nombre d’Indigènes. Alors, est organisé, à Valladolid, un débat portant sur le thème suivant : « Est-ce que les Indiens sont une espèce inférieure de la race humaine ? »
Un texte de Jacques Lassalle
L’effet indien
Un matin d’avril 1550, dans une salle désaffectée du monastère des dominicains à Valladolid, à une portée de cantique du Palais-Royal, quatre hommes sont réunis. Il y a là, auprès de son Supérieur de couvent, le frère dominicain Bartolomé de Las Casas (1474/1556), ancien évêque du Chiapas, au Mexique, obligé de rentrer au pays, en 1547, devant l’hostilité des colons espagnols; il y a aussi Juan Ginès de Sépulvéda (1490/1573), historien et théologien, formé en Italie, et l’un des rares intellectuels de son temps à légitimer, après Aristote, la distinction entre peuples supérieurs et inférieurs et la tutelle des premiers sur les seconds; il y a enfin le Légat du pape, venu spécialement de Rome. Ces quatre hommes sont donc réunis par la volonté conjuguée de Charles Quint, empereur des deux mondes, et du pape Jules lIl. Ils doivent débattre et décider si les Indiens d’Amérique (encore appelée les Indes), appartiennent ou non à l’espèce humaine, relèvent ou non des créatures de Dieu.
« Ce que nous disons, si je l’estime nécessaire, ne dépassera pas les murs de cette pièce. J’ai vu le roi. Il est de cet avis ». Ainsi débute le Légat. Et tout, en effet, dans la pièce de Jean-Claude Carrière, part de là. De ces petites phrases et de ce huis-clos. Tout, c’est-à-dire la différence entre les faits avérés et la fiction qu’ils peuvent engendrer. C’est que le théâtre déclare à l’Histoire les enfants qu’il veut, où et quand il le veut, et pratique volontiers l’adultère.
Dans la réalité, La Controverse de Valladolid, on le sait peut-être, mit des années à se préparer, tint ses assises plusieurs mois durant et se termina sans avoir pris position. Dans la pièce, elle apparaît presque comme une initiative spontanée, elle dure trois petites journées, et il s’y prend les décisions d’une portée, aujourd’hui encore, incommensurable. En outre, lorsque dans la réalité et aussi, lors de sa récente évocation télévisée, la Controverse se tenait, avec grand apparat, entre de nombreux spécialistes, tant politiciens qu’hommes d’Eglise, et devant un vaste public, c’est à huis-clos, dans le secret, presque le dénuement et avec un très petit nombre de participants, qu’elle se tient au théâtre.
Cela change beaucoup de choses. Les personnages ne sont plus en représentation. Ils ne sacrifient plus à la rhétorique des podiums ou des prétoires. C’en est fini des effets de manche, des apostrophes pour la galerie. Le théâtre du même coup reconsidère les moyens de sa théâtralité et en apaise les enjeux. De quels soins pourraient peser ici les ruses tactiques et les préméditations ? Chacun est nu, livré à sa seule conscience, en proie à sa seule sincérité. Certes chacun est encore agi, peut-être, sûrement, par les pouvoirs temporels et les peurs intimes, les interdits que nous prêtons à l’inconscient, mais il ne le sait pas. On est entre soi, entre fous de Dieu, au pied du crucifix, et l’on s’affronte, I’on se combat à visage découvert, conscients d’avoir à exercer de terribles responsabilités dans l’incertitude croissante d’un monde qui n’en finit pas de bouger et de se révéler différent de ce que l’on croyait.
Et c’est alors précisément que l’Histoire renoue avec ses ironies. Ces hommes sincères, d’indéniable bonne volonté, même lorsque, compte tenu de l’esprit du temps, ils se trompent dangereusement, ces intellectuels, hantés par le salut des âmes et l’amour des hommes, finissent par prendre ou laisser prendre la plus inattendue, la plus déplorable des décisions dont trois siècles plus tard nous ne parvenons toujours pas à réduire les effets.
Quand il arrive aux hommes de tenter d’échapper à leur insatiable appétit d’or et de pouvoir ou, ce qui revient au même, à leur insoutenable légèreté, I’Histoire, à moins que ce ne fût le ciel, choisiraient-ils de s’amuser plus cruellement encore à leurs dépens ? Serait-ce là l’hypothèse ultime de la pièce de Jean-Claude Carrière aggravée – ô Bunuel ! – par la prise en relais de sa représentation ? Si d’aventure, cette hypothèse peut-être réversible, d’un pire qui sortirait malignement d’un meilleur, venait à se vérifier, ne serait-elle pas de nature à bouleverser aussi fortement ce qui nous reste aujourd’hui de croyance, que ne le firent au siècle de la dite Controverse et de l’lnquisition, les découvertes de Colomb, de Gutenberg, de Copernic ou de Galilée?
Jacques Lassalle 10 janvier 1999
Sources bibliographiques
La Controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière (Editions Pocket)