Carole Bouquet héroine racinienne et hugolienne

 

Carole Bouquet est à l’affiche au théâtre Dejazet depuis le 15 octobre 2002 dans Phèdre de Jean Racine. Elle est aussi l’héroïne de Ruy Blas, mis en scène par le même Jacques Weber, un film qui sera diffusé le le 27 octobre 2002 sur France 3.

Carole Bouqet et Gérard Depardieu

Carole Bouquet et Gérard Depardieu

 

Carole Bouquet héroïne racinienne et hugolienne

Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent!
Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux?
Tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire.
Jean Racine, Phèdre


 » Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ;
Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;
Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.  »
Hernani, Victor Hugo

Carole Bouquet est à l’affiche au théâtre Dejazet depuis le 15 octobre dans Phèdre de Jean Racine, mis en scène par Jacques Weber avec François Feroletto ( Hippolyte), Jacques Frantz (Thésée), Jean-Pierre Jorris ( Théramène), Isabelle Le Nouvel ( panope), Farida Rahouadj ( oenone), Magalie rosenzweig ( Ismène), et Aricie ( Anne Suarez). Elle y incarne une Phèdre hantée par une passion incestueuse et rongée de culpabilité, une héroïne racinienne  » tentée dans sa chair et obsédée par sa faute, constamment entre l’offrande et le renoncement, le oui et le non ».
Elle sera également dans Ruy Blas , une adaptation de la pièce de Victor Hugo, mis en scène par le même Jacques Weber, un film qui sera diffusé le 27 octobre sur France 3. Carole Bouquet y est une splendide Dona Maria de Neubourg, reine d’Espagne. Elle incarne cette épouse pure et délaissée de Charles II, celle qui subit l’absence du roi et des rigueurs d’un protocole qui la rendent chaque jour plus prisonnière. Elle apparaît dans une grâce hiératique et avance vers son destin d’un pas ferme mais tendu, encercle par des duègnes qu imposent une loi sans échappatoire.


Phèdre vu par Georges Steiner

 » Phèdre est la clé de voûte du théâtre français. Ce qu’il a donné de meilleur auparavant semble en quelque manière la préparer : rien de ce qui a suivi Phèdre ne la surpasse. C’est Phèdre qui vous fait repousser ce jugement de Coleridge : que la supériorité de Shakespeare sur Racine est l’évidence même. Le génie de la pièce lui est spécifiquement propre ( il délimite le champ de son propre et splendide dessein) ; pourtant il est le plus hautement représentatif du style classique tout entier « .


Georges Steiner, La mort de la tragédie

Extraits de Phèdre

PHEDRE

N’allons point plus avant.Demeurons, chère Œnone.
Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne.
Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,
Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
Hélas!


OENONE
Dieux tout-puissants! que nos pleurs vous apaisent.


PHEDRE

Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent!
Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux
Tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire.

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PHEDRE

Noble et brillant auteur d’une triste famille,
Toi, dont ma mère osait se vanter d’être fille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la dernière fois.


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OENONE

Hé bien ! votre colère éclate avec raison :
J’aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
Vivez donc. Que l’amour, le devoir vous excite,
Vivez, ne souffrez pas que le fils d’une Scythe,
Accablant vos enfants d’un empire odieux,
Commande au plus beau sang de la Grèce et des Dieux.
Mais ne différez point : chaque moment vous tue.
Réparez promptement votre force abattue,
Tandis que de vos jours, prêts à se consumer,
Le flambeau dure encore, et peut se rallumer.


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PHEDRE à OENONE

Le voici. Vers mon coeur tout mon sang se retire.
J’oublie, en le voyant, ce que je viens lui dire.


OENONE

Souvenez-vous d’un fils qui n’espère qu’en vous.


PHEDRE

On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous,
Seigneur. A vos douleurs je viens joindre mes larmes.
Je vous viens pour un fils expliquer mes alarmes.
Mon fils n’a plus de père, et le jour n’est pas loin
Qui de ma mort encor doit le rendre témoin.
Déjà mille ennemis attaquent son enfance ;
Vous seul pouvez contre eux embrasser sa défense.
Mais un secret remords agite mes esprits.
Je crains d’avoir fermé votre oreille à ses cris.
Je tremble que sur lui votre juste colère
Ne poursuive bientôt une odieuse mère.


OENONE

Vous mourez ?


PHEDRE

Juste ciel ! qu’ai-je fait aujourd’hui ?
Mon époux va paraître, et son fils avec lui.
Je verrai le témoin de ma flamme adultère
Observer de quel front j’ose aborder son père,
Le coeur gros de soupirs qu’il n’a point écoutés,
L’oeil humide de pleurs par l’ingrat rebutés.
Penses-tu que sensible à l’honneur de Thésée,
Il lui cache l’ardeur dont je suis embrasée ?
Laissera-t-il trahir et son père et son roi ?
Pourra-t-il contenir l’horreur qu’il a pour moi ?
Il se tairait en vain. Je sais mes perfidies,
Oenone, et ne suis point de ces femmes hardies
Qui goûtant dans le crime une tranquille paix,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.
Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes.
Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes
Vont prendre la parole, et prêts à m’accuser,
Attendent mon époux pour le désabuser.
Mourons. De tant d’horreurs qu’un trépas me délivre.
Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre ?
La mort aux malheureux ne cause point d’effroi.
Je ne crains que le nom que je laisse après moi.
Pour mes tristes enfants quel affreux héritage !
Le sang de Jupiter doit enfler leur courage ;
Mais quelque juste orgueil qu’inspire un sang si beau,
Le crime d’une mère est un pesant fardeau.
Je tremble qu’un discours, hélas ! trop véritable,
Un jour ne leur reproche une mère coupable.
Je tremble qu’opprimés de ce poids odieux
L’un ni l’autre jamais n’ose lever les yeux.


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OENONE

Mon zèle n’a besoin que de votre silence.
Tremblante comme vous, j’en sens quelque remords.
Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.
Mais puisque je vous perds sans ce triste remède,
Votre vie est pour moi d’un prix à qui tout cède.
Je parlerai. Thésée, aigri par mes avis,
Bornera sa vengeance à l’exil de son fils.
Un père en punissant, Madame, est toujours père.
Un supplice léger suffit à sa colère.
Mais le sang innocent dût-il être versé,
Que ne demande point votre honneur menacé ?
C’est un trésor trop cher pour oser le commettre.
Quelque loi qu’il vous dicte, il faut vous y soumettre,
Madame, et pour sauver votre honneur combattu,
Il faut imoler tout, et même la vertu.
On vient, je vois Thésée.


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THESEE

Ah ! qu’est-ce que j’entends ? Un traître, un téméraire
Préparait cet outrage à l’honneur de son père ?
Avec quelle rigueur, Destin, tu me poursuis !
Je ne sais où je vais, je ne sais où je suis.
O tendresse ! ô bonté trop mal récompensée !
Projet audacieux ! détestable pensée !
Pour parvenir au but de ses noires amours,
L’insolent de la force empruntait le secours.
J’ai reconnu le fer, instrument de sa rage,
Ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage.
Tous les liens du sang n’ont pu le retenir !
Et Phèdre différait à le faire punir !
Le silence de Phèdre épargnait le coupable !
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HIPPOLYTE

D’un mensonge si noir justement irrité,
Je devrais faire ici parler la vérité,
Seigneur. Mais je supprime un secret qui vous touche.
Approuvez le respect qui me ferme la bouche ;
Et sans vouloir vous-même augmenter vos ennuis,
Examinez ma vie, et songez qui je suis.
Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes.
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes
Peut violer enfin les droits les plus sacrés ;
Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés,
Et jamais on n’a vu la timide innocence
Passer subitement à l’extrême licence.
Un jour seul ne fait point d’un mortel vertueux
Un perfide assassin, un lâche incestueux.
Elevé dans le sein d’une chaste héroïne,
Je n’ai point de son sang démenti l’origine.
Pitthée, estimé sage entre tous les humains,
Daigna m’instruire encore au sortir de ses mains.
Je ne veux point me peindre avec trop d’avantage ;
Mais si quelque vertu m’est tombée en partage,
Seigneur, je crois surtout avoir fait éclater
La haine des forfaits qu’on ose m’imputer.
C’est par là qu’Hippolyte est connu dans la Grèce.
J’ai poussé la vertu jusques à la rudesse.
On sait de mes chagrins l’inflexible rigueur.
Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon coeur.
Et l’on veut qu’Hippolyte, épris d’un feu profane…

 

En savoir plus :

Ruy Blas, un film réalisé par Jacques Weber d’après la pièce de Victor Hugo

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